Acheronta  - Revista de Psicoanálisis y Cultura
La temporalité canonique autobiographique: son conflit avec le vécu des temporalités plurielles du sujet dans la cure
María José Palma Borrego

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« Le temps devient humain dans la mesure où il est articulé de manière narrative. En retour, le récit est significatif dans la mesure où il dessine les traits de l'expérience temporelle.»
Paul Ricoeur, Temps et Récits, 1984.

« Le temps a laissé d'être accessoire »
Bersong

"La clínica constituye un espacio donde se escribe una autobiografía"
Jorge Helman, La clínica como estructura. 1996.

Aujourd'hui, l'intérêt pour la problématique du canon parmi les spécialistes et les critiques littéraires soulève des discusions passionnées pour ou contre l'établissement du canon.

Mais écrire sur le canon littéraire impose tout d'abord une question : Que'est ce que c'est le canon littéraire? La reponse que je donnerais ici est simple et pratique. Le canon est en effet, une liste d'œuvres considérées dignes d'être étudiées et commentées. Des œuvres, en fait, qui conforment un modèle et, en ce qui nous concerne ici et par rapport au canon autobiographique, un modèle de l'écriture du vécu2.

Nous n'allons pas parler dans ces pages du canon autobiographique à proprement parler, de ses dilèmes et de ses perspectives, mais de deux catégories que le canon lui-même délimite: l'"espace" et le "temps".3

En effet, les catégories de'"espace" et de "temps" canoniques autobiographiques s'imposent à toutes les pratiques d'écriture autobiographique. Il s'agit donc d'un "temps" chronologique, mésuré et objectif, que nous appellerons "le temps sans profondeur", et d'un "espace", marqué par ce "temps", dont ses limites thématiques se circonscrivent à la narration objective des faits d'une vie.

Ainsi, dans le temps canonique nous avons une pensée qui rémémore une autre pensée concernant une catégorie abstraite, et dont la modalité temporelle spécifique est le passé. Dans ce sens, le "temps" canonique comporte un système de pensée forcée qui implique un investissment intellectuel à proprement parler. En effet, nous y avons une pensée sur le passé, construite et élaborée à partir du principe du vécu objectif, réel, du sujet, ce qui conforme sa temporalité.

Cette temporalité du temps de la conscience ou « temps avec profondeur », exprimée aussi dans le récit de cure"4, est liée à la durée des affects et rentre en conflit avec le temps chronologique du canon autobiographique. Mais il existe dans la cure une « temporalité » de l'inconscient ou plutôt une « temporalité » non mésurable qu'on appelera le « hors-temps ».

En effet, il correspond à Freud (1885), le mérite de formuler l'idée d'une expérience hétérogène du temps et de la temporalité à travers la technique psychanalytique, en introduisant dans la pensée philosophique occidentale et classique, une nouvelle caractégorisation du temps. Freud n'exclue pas le temps linéaire de la philosophie classique qui le rattache à la conscience, mais il introduit, comme nous l'avons déjà signalé, le temps lié à la durée des affects et le temps qui ne temporalise pas.

De son côté, Jacques Derrida dans son livre Freud et la scène de l'écriture (1967 :96-97) affirme que : « l'intemporalité de l'inconscient est sans doute seulement déterminée par opposition à un concept courant du temps, traditionnel et métaphysique, le temps de la conscience.» D'autre part, Jean Laplanche (1998) nous signale aussi qu'il s'agit « d' un temps perceptif ou de la conscience immédiate, d'un temps humain, cosmologique ou « temps du monde », le temps de la mémoire et du projet, en fait, le temps historique des sociétés humaines», dont la représentation métaphorique et mythologique est Chronos dévorant ses fils.

Le « temps sans profondeur », canonique, est un temps métaphysique, objectif et universel. Un temps qui correspond à une représentation linéaire : passé, présent, futur, qui obéit au principe de non réversibilité, admetant la simultanéité des faits et n'appartenant pas, en principe, aux catégories du temps : présent, passé, futur.

Nous allons représenter maintenant le schèma linéaire concernant le « temps » canonique autobiographique, en rapport avec ce que Freud appelle « le système de la perception conscience ».

Quant à l'espace narratif canonique autobiographique, il s'agit dans ce cas-là, de la narration chronologique des faits objectifs vécus par le sujet narrateur. Dans ce sens, on peut dire que les catégories d' « espace » et de « temps » correspondent à l'expérience du sujet, une expérience qui se reconnaît à partir du fait de la conscience et que le récit transforme en expéreince objective.

Par contre, dans le « récit de cure », il ne s'agit pas seulement de reproduire l' « espace » et le « temps » canonique, logique et chronologique, mais d'exprimer aussi la temporalité subjective du narrateur ou de la narratrice, manifestée dans la cure par la mémoire traumatique. Une temporalité, qui comme nous le verrons plus tard, est située dans ce que nous appellons la « limite paradoxale ».5

Bien évidemment, ce ne sont pas ces catégories de « temps » et d' « espace » canonique qui configurent exclusivement le « récit de cure », mais celles de la « temporalité » et de l' « espace » vécus dans la cure, à savoir, l' « espace imaginaire » et la « temporalité imaginaire ».

L' « espace imaginaire » est le lieu où se succédent les expériences du temps vécues par le sujet. La « temporalité imaginaire » est la superposition des temps passés à partir du présent réel de la cure, rémémorés et travaillés dans le processus analytique. Un exemple de ce que nous venons de dire se manifeste dans le « souvenirs-écran ». Ces passés superposés du « souvenir-écran » disparaîssent au fur et à mesure que se développe le travail sur le traumatisme provoquant sa disolution. Ce qui veut dire que la « temporalité imaginaire », par la réduction des passés à la singularité du passé chronologique, « rentre » dans la logique du langage, c'est-à-dire, dans l'écriture pour devenir récit.

Alors, la « temporalité imaginaire » reste un domaine exclusif du travail analytique et ne se manifeste pas dans l'espace-temps canonique autobiographique. Il s'agit donc d'une catégorie qui configure celle de « limite ».

Dans ce sens, le temps de la conscience ou « sans profondeur » canonique se manifeste comme « limite » ou frontière séparant deux catégories apparemment égales : le « vécu » rapporté par la narration autobiographique canonique, un « vécu » objectif, et le « vécu » qui traduit le travail de passage de l'inconscient, au préconscient et au conscient du sujet dans la cure. Ce processus, qui se traduit par un état-de-conscience de la maladie et de la guérison, avance dans le « récit de cure » par des « coupures spatio-temporelles » thématiques que nous trouvons aussi dans des textes autobiographiques de la Modernité.

Mais retournons à l' « espace » et au « temps sans profondeur » canoniques autobiographique, pour voir comment la déconstruction de ces catégories commence déjà dans certaines autobiographies modernes.

En effet, les récits autobiographiques de la Modernité limitent le temps et l'espace canoniques à un temps et à un espace relativement court. D'autre part, à la linéarité chronologique des faits canoniques, succède une fragmentation de celle-ci qui se manifeste notamment au niveau thématique.

Voilà deux exemples de ce que nous sommes en train de dire.

Dans son autobiographie Enfance (1985), Nathalie Sarraute limite l'espace et le temps narratifs aux deux premières années de sa vie. Valèrie Valère dans son livre autobiographique Le pavillon des enfants fous (1978), restreint encore plus l'espace et le temps narratif, car il s'agit de son séjour de trois mois dans une unité psychiatrique d'un hôpital parisien, et finalement, dans son autobiographie psychanalytique Les Mots pour le dire (1975), Marie Cardinal limite l'espace narratif à un endroit très petit : le cabinet de son analiste, et le temps chronologique à sept ans.

On soulignera que c'est dans le domaine de l'écriture des femmes6 où on trouve un effort majeur de l'idée de déconstruction des catégories d' « espace » et de « temps » narratifs. Ceci nous est montré par un style de modalité autobiographique « saccadé », c'est-à-dire, une écriture des phrases courtes, attachées au souffle, plus près du « bios » que de l' « autos », ce dernier entendu comme une construction culturelle logophalocentrique, qui exclue le « sujet féminin » et la subjectivité féminine de désir au lieu et à l'espace de la « limite paradoxale».

Ainsi, l' « espace » et le « temps » canoniques autobiographique, qui se veulent modéliques, donc, totalitaires pour l'expression du vécu du sujet narrateur, s'avèrent insuffisants pour l'expression du vécu des différentes modalités de temps « avec profondeur » ou temporalité du sujet dans la cure.

Cette insuffissance du canon autobiographique, toujours entendu comme ensemble des récits autobiographiques qui expriment la totalité de l'expérience du sujet, nous a amené à l'articulation de la catégorie de « limite paradoxale » entre le canon autobiographique et le « récit de cure » concernant le « temps » et la « temporalité ». Celle-là nous demande de tenir compte de l'« illogique » du travail analytique préalable à toute écriture, et notamment à l'écriture de la cure.

Cette « illogique » se caractérise, en effet, par la superposition ou sédimentation des temporalités passées du sujet dans la linéarité chronologique du temps passé. Ces expériences plurielles de la temporalité du sujet rentrent en conflit avec le temps chronologique canonique. Et ce conflit entre le « temps » passé et objectif et la « temporalité » des passés du sujet, est provoqué par l'irruption des situations et moments spécifiques à la temporalité de la cure, qui sont ramenés à la conscience par la mémoire traumatique et à l'écriture par la mémoire volontaire. Ces situations et moments ont à voir avec les traumatismes, les symptômes, les répétitions, les  souvenirs-écran, etc.

La définition du conflit que nous venons de donner, et qui constitue aussi la « limite paradoxale », passe nécessairement par la catégorie d' « impossibilité » d'écrire l'expérience de la temporalité superposée et plurielle vécue par le sujet dans la cure.

Ainsi, en situant cette impossibilité dans la catégorie du « reste »7, l' « illogique » du vécu de la cure peut-il être exprimé par la logique que le langage impose à la narration autobiographique?

La reponse est évidemment négative si nous considérons la temporalité plurielle de la cure como un élément mobile entre le « hors-temps » (J. Kristeva :1998), ou « zeitlos »8 freudien, la temporalité9 plurielle, subjective et de la conscience, et le temps.

D'autre part, nous allons voir maintenant les élément qui conforment cette « illogique » de l'impossible, à savoir, les traumatismes, les symptômes, les répétitions, les souvenirs-écran, etc.

Comme nous l'avons déjà dit ci-dessus, le canon autobiographique se caractérise par le modèle du temps « sans profondeur », lié à la conscience et qui requièrt un espace narratif totalitaire en ce qui concerne l'expression du vécu du sujet narrateur soit homme ou femme10.

Le canon autobiographique a créé, en effet, un « horizon thématique » dans les pratiques de l'écriture du vécu où on transmet une pensée selectionnée. Dans ce sens, le paradoxe de la « limite » concernant le temps, se manifeste dans le « récit de cure », à travers la reproduction du temps canonique, et d'une temporalité de la conscience spécifique au cadre analytique dont l'origine mythique, hypothétique et idéale, est le début de la cure comme début de la narration.

Cette temporalité spécifique de la cure plus le « hors-temps » introduisent chez le sujet un certain fonctionnement des succés psychiques qui créent cet « ilogique » manifesté dans le brouillon et effacé de l'écriture.

Dans ce sens, une polarité s'installe dans le « récit de cure » par rapport au temps : d'une part, une expérience-conscience trans-crite dans la narration autobiographique de la cure qui, dans la mesure où celle-ci signale les «échos » du travail de l'inconscient, tient compte non seulement de ces faits de la conscience, mais s'inscrit dans l'expérience-conscience une « faille »11, une blessure qui implique une frustration pour l'analysant ou l'analysante, pour que, justement, l'analyse avance. Et dans la mesure où celle-ci avance, il y aura du matériel narratif pour la construction du « récit de cure ». D'autre part, l'inscription de la « faille » se manifeste dans l'autre élément de la polarité, car elle est de l'ordre de l'inconscient, du « hors-temps », de l' « ilogique » irreprésentable et situé dans le « reste ». C'est-à-dire, de l'inexplicable, sans mots, sans discours, dans un présent perpétuellement sans profondeur, malgré le retour du sujet du présent à la pluralité des passés pour retrouver son présent, toujours renouvellé et nouveau: en fait, un autre présent.

Ce retour au présent de la conscience, doit être entendu comme le point de départ pour la dissolution des obstacles et pour la construction de l'histoire du sujet pour sa guérison, à savoir: les « souvenirs-écran » les répétitions, les défenses, etc. qui empêchent le sujet d'arriver à la scène traumatique, fixée dans un passé voilé, protégée pour les défenses et les « souvenirs-écran », et manifestée par les phénomènes de la répétition et du symptôme.

Le « symptôme » est ici considéré comme une manière d'exister, de vivre du sujet, qui doit être encadré dans le matériel narratif nouveau qui introduit le « récit de cure » dans l' « espace thématique » canonique autobiographique.

Scène traumatique dans un passé voilé en effet, et dévoilement de celui-ci pour faire passer à la conscience, par la nomination, la douleur du traumatisme vécu. Dans le processus du dévoilement du travail analytique, il se déploie encore une fois l'espace et le lieu de la « limite paradoxale » entre le temps, la temporalité et le « hors-temps ». Paradoxe auquel s'intéresse Freud dès les premiers traitements et dans son autoanalyse.

En effet, Freud parle d'un paradoxe de la mémoire quand aux éléments de l'enfance, qui comme nous avons déjà vu en ce qui concerne le « souvenir-écran », ont à voir avec des faits importants dans la biographie d'un sujet homme ou femme. Ces faits qui ne sont pas retenus, mais conservés par des souvenirs apparemment insignifiants.

La conception de Freud de ce paradoxe est en rapport avec la déconstruction du temps chronologique et linéaire que le propre Freud introduit dans la pensée occidentale. Ainsi, pour Freud, il existe des faits importants qui ne sont pas retenus par la mémoire, en tout cas ils n'existent pas dans la mémoire volontaire, mais la mémoire involontaire12 peut les faire surgir.

Phénomènologiquement, dit Freud, certains de ces souvenirs se présentent avec une netteté et une insistance exceptionnelles contrastant avec le manque d'intêret et l'inocence de leur contenu. Mais ces souvenirs recouvrent des expériences sexuelles réfoulées ou des fantasmes que Freud appelle les « souvenirs-écran ».13

En ce qui concerne le « récit de cure », la percée du « souvenirs-écran » pour faire surgir les traumatismes à la conscience comporte d'abord pour le sujet, un travail sur la temporalité du passé pour sa transcription postérieure dans le temps chronologique de la conscience. Ce qui constitue la base à partir de laquelle se construit la narration de la cure comme partie de l'histoire du sujet narrateur.

En fait, il s'agit du passé d'un fait passé chez le sujet qui est de l'ordre de son histoire traumatique. Ainsi, le fait originaire du traumatisme est situé dans ce passé caché, voilé par un autre passé où se produit l'expérience, mais l'expérience de ce passé du passé n'a rien à voir avec la Vérité des faits qui impose le récit canonique autobiographique au récit de la cure d'un sujet narrateur, mais avec l'évocation que le sujet fait de ces faits qui constituent sa vérité subjective. Il est évident qu'il ne s'agit pas de l'Histoire d'un sujet, dans le sens canonique du terme, mais de l'histoire subjective du sujet se manifeste dans le « récit de cure ». Bien évidemment, cela suppose des vérités subjectives, partielles, face à la Vérité canonique.14 Ainsi, à la temporalité chronologique, il faut « rajouter » la temporalité des éléments pathogènes qui sont en rapport avec la pluralité des passés expérimentés par le sujet dans la cure.

En effet, la temporalité plurielle du passé qui se sous entend dans l'analyse du « souvenir-écran », constitue un élément de conflit de plus par rapport au temps passé canonique de l'autobiographie. Ce passé canonique s'exprime sous une modalité temporelle qui est liée avec le temps de la sucession et à l'appropriation. Par contre, le travail de la mémoire traumatique dans la cure nous dévoile un passé voilé par l'écran du souvenir qui est aussi au passé et à l'origine de la scène du traumatisme.

Ce dévoilement, aller du présent au passé récent, celui du souvenir, et de ce dernier au passé de l'origine du traumatisme, se produit quand « il y a une implication de celui-ci dans le symptôme à travers une phrase ou un mot15 qui créent signification » (Forrester, 2000:250).

Ce sens subjectif, constitutif de l'histoire du sujet de la narration, va être l'élément qui conforme la thématique narrative du « récit de cure » face à la narration des faits « objectifs » caractéristiques de l'autobiographie canonique. Il s'agit donc, non seulement du déroulement du passé vers le présent, (l'expérience du sujet est introduite dans le passé linéaire de la narration) signifiant l'acte de l'écriture autobiographique, mais de l'expérience plurielle de la temporalité du passé du sujet qui écrit sa propre cure.

Dans ce sens, il s'agit des passés superposés, par couches sédimentées pourrait-on dire, ou d'un « passé recomposé » selon l'expression de Francis Pasche, qui est en rapport avec la durée basée dans l'expérience des affects, ceux-ci modulés à la fois par la présence et l'absence de l'objet aimé ou haï.

En effet, la profondeur de la mémoire de la « trace mnésique » est en rapport avec la durée de l'excitation, par ce qui ne peut pas être symbolisé et qui est à la base du traumatisme. C'est seulement dans le sens où le traumatisme, visible par le symptôme, peut être nommé et « resolu » dans la cure, dans le sens de la prise de conscience du sujet, qui peut être écrit.

Nous allons voir maintenant la représentation graphique du fonctionnement de feed back ou circulaire de la temporalité psychanalytique concernant ces passés subjectifs superposés et son rapport avec la temporalité canonique autobiographique.

-Le fonctionnement linéaire du temps canonique.

Paul Denis dans son article La bella actualidad (1998), affirme que le processus analytique permet de dégager, dans le cadre d'une cure complète, les deux dimensions temporelles du psychisme : la diachronie et la synchronie. Ces deux temporalités, activées pendant la cure, réactivent les contradictions intrapsychiques et contribuent à l'aventure d'un champ -le champ de la parole- pour l'élaboration des conflits. Cette ouverture, selon Benveniste (1966 :263), situe la présence simultanée de la conscience subjective et du temps dans le langage.

En effet, « le temps existe parce que le langage existe : mon temps est en fonction de mon énoncé », dit Benveniste. Et « dans tous les endroits, on peut constater une certaine organisation linguistique de la notion de temps, la temporalité humaine avec tout son appareil linguistique révèle de la subjectivité inhérente à la propre expérience du langage. » (Benveniste, 1966 :263).

En tant que langue écrite, le « récit de cure » comporte une dimension diachronique du temps. Mais dans la cure, celle-ci est menacée par le mouvement incisif et permanent de la temporalité synchronique que le sujet expérimente au niveau de la conscience. L' incision des ces deux dimensions temporelles manifeste une limite, qui n'a rien à voir avec la « limite paradoxale », mais avec ce que nous avons appelé une « chronologie alterée » qui a un effet sur la thématique et le style.

Ainsi, l'autobiographie psychanalytique ou « récit de cure » ouvre l'espace thématique du canon autobiographique, en créant un espace de réception nouveau pour le récit de la maladie comme sujet littéraire.

D'autre part, il s'agit de voir comment à partir de cette « chronologie altérée » se construit l'histoire de la guérison d'un sujet, toujours menacée dans la cure par sa propre expérience de la temporalité synchronique, marquée par le phénomène de la répétition17, qui est avec le symptôme, exclu de la logique spatio-temporelle de la narration autobiographique.

En effet, le retour du refoulé introduit, sans la particitation du sujet même, une temporalité psychique subjective, un « temps avec profondeur ». Dans son travail sur le refoulé, la mémoire traumatique, est en rapport avec le « temps passé et perdu », avec le temps du fait traumatique, et finalement, avec le « temps retrouvé » par et pour le sujet même.

Dans ce sens, le fait de nommer dans la cure le traumatisme, qui déviendra histoire écrite, fait de l'écriture de la cure un moyen de récupération et de fixation constructive de ce passé « perdu et retrouvé » donnateur de salut. Ainsi, pour le sujet narrateur de son analyse, le but de la construction de son histoire -l'histoire de sa maladie qui devient exemplaire et didactique- est parallèle à la construction de son « moi », tandis que pour le sujet narrateur autobiographique canonique, le but de la narration est limité au fait de faire connaître une vie exemplaire, considérée par le narrateur ou par la narratrice même, digne d`être connue par tout le monde.

Un autre élément du vécu18 qui conforme l'histoire du sujet, est la « trace mnésique19 ». Elle est liée à la durée de l'excitation provoqué par le traumatisme et est inscrite dans la mémoire. C'est seulement dans le sens où le traumatisme est visible par le symptôme, que celui-ci peut être nommé et « résolu » dans la cure, qu'il est introduit dans la logique spatio-temporelle imposée par le langage. Suivant un parcours de cause-effet, la « trace mnésique » devient aussi un élément fondamental pour la construction de l'histoire du sujet et matière de l'écriture autobiographique.

Ainsi, ce qui est dans un « hors-temps » ou dans le temps pré-verbal de la « trace mnésique » : le temps du regard ou le temps de la mère (Lacan), s'introduit dans un temps historique et devient alors un élément fondamental pour l'insertion du sujet dans la trame temporelle du temps historique, chronologique, différente de celle de son histoire subjective.

C'est pourquoi, l'histoire du sujet ne sera pas celle des faits les plus importants qui souligne et proclame le modèle autobiographique canonique, mais celle des faits à travers lesquels le sujet trouve son Sens dans la succession des événements de sa vie. Et ce Sens est constitué par le langage, dans l'ensemble des discours qui conforment la Culture en général, et de la culture vécue par le sujet20 en particulier. Mais comme dit Marcel Moreau dans son livre Féminaire (2000) : « Pour les femmes, les mots ont une autre vie, un autre sens. Ils ne sont pas absents, simplement ils sont une autre vie, intouchable, impénétrable. »

Finalement, nous avons voulu signaler dans ces pages une hypothèse concernant le statut conflictuel entre le temps canonique autobiographique et la temporalité inscrite dans le temps du « récit de cure » ou autobiographie psychanalytique.

Il existe, en effet, une série d'éléments constitutifs de la temporalité analytique, tels quels la « trace mnésique », la répétition, le « souvenir-écran », etc. qui sont préalables au système de temps-conscience du canon autobiographique, qui appartiennent au vécu du sujet, et qui ne peuvent pas être inscrits dans la logique du langage. Ceux-ci sont à l'écart, dans ce que nous avons appelé le « reste », c'est-à-dire dans le pré-verbal. Ces mêmes éléments modifient à la fois, certaines catégories métaphysiques telles que Histoire et Vérité.

Dans ce sens, le temps du vécu du canon autobiographique s'avère d'une part, déficitaire pour exprimer toute expérience du vécu d'un sujet, et d'une autre, nous montre son caractère totalitaire, exclusif et normatif, créant, par opposition une « limite paradoxale» dans cette même expérience du vécu.

Notes

2 La création d´un modèle canonique autobiographique comporte des pratiques d´écriture relativement permanentes. Dans ce sens, nous soulignons la différence entre le genre autobiographique comme des pratiques d´écriture autobiographiques, et le canon autobiographique qui est le modèle qui doivent suivre ces pratiques.

3 Il existe une différence conceptuelle entre les catégories de "temps" et "temporalité". Le premier marque la chronologie de la narration autobiographique canonique et la deuxième est en rapport avec l´ambigüité qui présente l´expérience du "temps" dans la cure, et sa postérieure traslation au récit de celle-ci.

4 "Récit de cure" ou autobiographie psychabalytique c´est la narration de´une psychanalyse. Le "récit de cure" présente une ambigüité s´exprimant par une "limite paradoxale", en rapport au temps et à la temporalité, de l´expérience du sujet.

5Limite: Lieu d´intersection entre le temps canonique et la temporalité vecue par le sujet dans la cure. Elle configure un espace qui est celui de la logique narrative.
Le paradoxe : La double appartenance du « récit de cure » au temps et à la temporalité.

6 Cette affirmation est valable au moins pour la plus part des écrivaines françaises de la période 1970-1980 attachées idéologiquement au M.L.F.

7 Le reste: le lieu en dehors de la « limite paradoxale », et en rapport avec le « zeitlos » freudien.

8 « Zeitlos » : Ce qui ouvre chaque manifestation humaine (acte, parole, et symptôme) à l´au-délà de la conscience. Il s´agit de l´énergie et de la pensée qui ont une temporalité spécifique qui ne temporalise pas, contrairement à la vie et à la conscience, mais inséparables d´elles.

9 Nous considérons que la temporalité marque deux aspects de l´expérience du sujet : d´une part, une temporalité atemporelle ou hors-temps et d´une autre, la temporalité liée à la durée de l´affet et en rapport avec la conscience.

10 Le « sujet féminin » de l´autobiographie féminine pose d´autres problèmes qui sont en rapport avec le statut du « sujet féminin » dans sa rélation avec le langage et de façon plus générale dans la Culture.

11 "Faille": Du domaine de la géologie comme cassure, la « faille » dans la cure est en rapport avec la frustration, donc, avec la castration du sujet.

12 Mémoire involontaire : Les moments qui garde notre mémoire et marquent l´union sans rêlache entre l´avenir et le passé.

13 Souvenir-écran: Souvenir infantile se caractérisant à la fois par sa netteté particulière et l´apparence insignifiance de son contenu. Son analyse conduit à des expériences infantiles marquantes et à des fantasmes inconscients. Comme le symptôme, il est une formation de compromis entre des éléments refoulés et la défense

14 La construction de l´histoire et le concept de « vérité subjective » nous montre encore une fois comme le « récit de cure » se situe dans la limite transgressive des concepts d´Histoire et de Vérité canoniques.

15 Dans ce sens, voir la "parole pleine" chez Lacan.

16 La mémoire involontaire: les moments qui garde notre mémoire et marquent l´union sans rêlache entre l´avenir et le passé.

17 Il serait intéressant d´analyser le phénomène de la répétition dans les brouillons ou carnets de notes concernant le récit d´une cure. La répétition y serait de l´ordre de la thématique, du style, mais aussi de l´ « ilogique ». Dans ce sens, les brouillons et les carnets de notes seraient, à la limite, plus proches de l´expérience analytique que le propre récit de cure corrigé et édité.

18 Même si la « trace mnésique » se situe dans la « mémoire inconsciente », dans la mésure où elle, attachée au traumatisme, peut être investie et verbalisée, elle fait partie du vecu du sujet, dans le sens où la « trace mnésique » est toujours provoquée par un fait de la réalité qui parallèlement, provoque l´excitation et la durée de celle-ci chez le sujet.

19 Trace mnésique: Terme utilisé par Freud pour désigner la façon dont les éléments s´incrivent dans la mémoire. Les traces mnésiques sont déposées, selon Freud, dans des différents sytèmes ; elles subsistent de façon permanente mais ne sont réactivées qu´une fois investies.

20 Il nous semble important de signaler ici, le conflit spécifique des femmes par rapport au langage dans une Culture logophalocentrique.

BIBLIOGRAPHIE

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Número 19 - Julio 2004
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