Acheronta  - Revista de Psicoanálisis y Cultura
De l'Etat et/ou de quelques autres
Robert Lévy

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En son temps, la formule de Lacan : l’analyste ne s’autorise que de lui-même et de quelques autres, est venue donner un coup de pied dans la fourmilière. Il était question alors non seulement de rappeler que le psychanalyste et sa formation reposaient avant tout sur l’analyse de son désir inconscient, mais de plus que l’analyste ne pouvait pas faire dans sa pratique l’économie de son désir. Ce qui déjà était une façon de le distinguer des psychothérapeutes.

Mais pourtant le psychanalyste de l’époque de Lacan s’était trouvé en regard de cette formule face à un certain forçage, pris qu’il était dans le paradoxe suivant: cette formule rappelait que l’analyste d’un côté n’attendait pas de titre mais qu’il se l’appropriait sous la forme d’un certain type de passage à l’acte (mise en acte de son désir) et de l’autre (ce qui a été le plus souvent oublié) que ce titre, né de ce passage à l’acte, n’avait aucune valeur tant qu’il n’était pas reconnu par quelques autres, ce qui faisait de l’institution analytique un point incontournable (qui demeure aujourd’hui encore vrai puisqu’en dépit du fait que certains croient pouvoir se former sans s’engager dans une institution ils ne peuvent soutenir cette question que parce que justement il y a des institutions qui assurent des enseignements et une formation).

Mais cela faisait aussi la difficulté des institutions analytiques car supprimer le titre c’était supprimer le narcissisme qui organise le monde et donc retirer au sujet tout espoir de satisfaction narcissique.

Si l’on reprend cette formule si controversée « l’analyste ne s’autorise que de lui-même et de quelques autres » qui fondait l’énonciation de l’éthique propre à la psychanalyse, c’est-à-dire une éthique du désir, c’est bien là que les ennuis commencent car on peut dire à la fois que l’analyste n’a pas de conception du monde à défendre ; en effet, il ne peut situer son acte ni dans le religieux ni dans l’armée ni dans le politique de la cité et en même temps se demander si une éthique dans laquelle le désir ferait loi ne reviendrait finalement pas à une sorte de nouvelle conception du monde dans laquelle l’analyste se trouverait exempté des lois morales et des lois sociales qui régissent l’état.

Il semble que ce soit tout à fait le débat auquel nous invite à nouveau à réfléchir la poussée de la demande du gouvernement à ce que la psychothérapie rentre dans une définition, définition qu’on ne peut énoncer sérieusement qu’à partir de son point d’éthique. Je crois qu’il faut rappeler que l’acte analytique selon la méthode freudienne (résolution prise à Convergencia) permet aux patients de traiter leurs symptômes sans aucune volonté d’adaptation à quelque modèle préétabli que ce soit. En ce sens, la psychanalyse ne saurait être considérée comme sous-ensemble des psychothérapies. Mais on ne s’en tire pas pour autant en prétendant que l’analyste n’est ni médecin ni psychologue, ni éducateur ni psychothérapeute car si l’analyste ne s’autorise que de son désir et que son éthique n’est fondée que de par la loi du désir, on peut se demander si à certains moments il ne risque pas d’être un peu complice d’une forme de perversion à force de penser qu’il n’est pas un citoyen comme les autres et qu’il n’aurait pas à se soumettre aux lois comme tout citoyen sous prétexte qu’il n’a pas de conception du monde à faire valoir ?

C’est sur ce point que l’intervention de l’Etat force à nouveau l’analyste à définir et préciser le champ de son éthique.

Peut-on soutenir pour autant que dès lors l’analyste ne s’autoriserait que de l’état, de lui-même et de quelques autres ? On s’aperçoit assez vite de l’absurdité de cette proposition puisque cette nouvelle définition supposerait alors un diplôme objectivement reconnu par l’état et par conséquent mettant de fait l’analyste sur le marché de ce qu’il est lui-même censé dénoncer, à savoir la jouissance du fétichisme de la marchandise. En effet, l’éthique dont se recommande l’analyste est une éthique de la déliaison, une éthique qui justement a pour fonction de mettre en relief le fétichisme de la jouissance de la marchandise, une éthique qui ne laisse plus le maître ignorer la dimension sexuelle de son acte. Mais il est un fait que les analystes sont les premiers à cultiver la résistance à la psychanalyse dans la mesure où la résistance prend toujours la forme du non dévoilement de l’ordre sexuel.

Mais revenons un peu sur le diplôme d’état de psychanalyste qui supposerait donc que nous disposions d’une formation standard et que l’on puisse par conséquent attribuer à chaque analyste une reconnaissance garantie par l’état de par le standard de sa formation quelque soit l’institut, l’école ou l’association dont il est issu. Il faut se rendre à l’évidence: c’est impossible, non pas seulement de par la différence des formations délivrées par chacune de ces spécificités, mais parce que Lacan a laissé le « que faire » en suspens puisqu’il a préféré laisser l’éthique répondre à cette question du « que faire » dans une cure et non pas la technique. Le « que faire » a trouvé comme réponse l’irréductible singularité de l’acte analytique et il a donc estimé que les conditions «standard » de la conduite de la cure oublieraient assurément qu’il y avait des enjeux d’acte ! C’est ce qu’il rappelait dans son séminaire.

«La fonction analytique est rapprochée de quelque chose qui est du registre de l’acte » et « l’acte analytique est d’une certaine façon assez conforme à la structure du refoulement, une sorte de position à côté ».

L’analyste a donc pour définition une position à côté.

En ce point, on retrouve une logique qui différencie l’analyste du psychothérapeute en les situant dans deux champs et deux objets parfaitement hétérogènes, l’un du côté psychothérapeute introduit un objet qui est censé satisfaire la demande que sous-tend tout discours de la maladie grâce à la manipulation et à la suggestion - qui induit la croyance en l’objet thérapeutique introduit par exemple comme plante, pierre, animal ou partie du corps et qui ainsi construit le fantasme de guérison.

De l’autre côté le psychanalyste dont l’objet n’est qu’un artefact introduit par le supposé savoir de l’analyste qui «guérit» en traitant la relation à cet objet comme fantasme. La psychanalyse a donc cette spécificité de n’être thérapeutique que de par la mise en cause du fantasme même qui en fonde la possibilité.

Je rappellerai ici une définition de cette différence par cette boutade de Lacan : « Une psychothérapie est un tripotage réussi au lieu que la psychanalyse c’est une opération dans son essence vouée au ratage et c’est ça qui est sa réussite » .

Ainsi c’est bien l’acte et seulement l’acte analytique qui répond de la tâche accomplie ou non d’une psychanalyse.

Lacan n’a jamais cessé de soutenir cette position « à côté » de l’analyste de par son acte et un peu plus de vingt années après son séminaire sur l’acte analytique, il conclura encore la dissolution de sa propre école avec c rappel « ce dont le psychanalyste a horreur c’est de son acte ».

Il paraît alors clair qu’aucun diplôme ne saurait répondre à la nécessité de la garantie de l’acte analytique. En revanche, les institutions analytiques qui prétendent former des analystes sont les seules à disposer de dispositifs spécifiques de repérage de l’acte et du désir d’analyste selon les modalités et les formes qu’elles se sont donné chacune pour y parvenir. Par conséquent, la qualification de psychanalyste - si elle s’avérait nécessaire - ne peut que relever de leur autorité. Il y a une question urgente à ne pas rater. C’est un choix éthique : faut-il soutenir l’ idéologie psychanalytique contre le discours analytique pour entrer dans le social, car on voit bien comment le post modernisme en panne d’idéologies nouvelles a du mal à se reconnaître autrement que dans le discours de la science à laquelle évidemment la psychanalyse a tendance à vouloir répondre mais justement la reconnaissance par l’état ne précipiterait-elle pas l’analyse vers une nouvelle idéologie scientifique objectivable ?

De fait, le discours scientifique nie le sujet de l’inconscient et n’a pas besoin d’éthique pour se développer et néanmoins la psychanalyse dans sa spécificité qui concerne le rapport du psychique au réel ne peut ignorer l’éthique sur et à partir de laquelle elle se fonde dans la relation du sujet de l’inconscient au désir, ce qui ne peut en aucun cas s’appuyer sur la suggestion.

(Trabajo presentado en el Lacanoamericano de Recife, septiembre 2001)

Voir aussi le reportaje a Robert Lévy

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Revista de Psicoanálisis y Cultura
Número 14 - Diciembre 2001
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