Acheronta  - Revista de Psicoanálisis y Cultura
Entretien avec Alain Vanier
et autres membres d'Espace Analytique

Realizé par Norma Ferrari et Michel Sauval
Texte établit par M. Sauval et corrigé par A. Vanier

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On se retrouve au hall de l'hotel, puis on passe au bar d' a coté.
Le dialogue commence et on met en marche notre enregistreur ...

Entretiens préliminaires

Premières présentations…

Alain Vanier: Joël Birman est membre d'EA en France. Il a créé une association Espace Analytique à Rio de Janeiro, au Brésil, Espaco Brasileiro de Estudos Psycoanaliticos, avec Maria Izabel Szpacenkopf. Et nous avons créé un réseau, le Réseau d'Espace analytique, qui n'est pas une structure pyramidale ou l'association française serait l'association maître. Ils ont créé une association autonome. Nous avons une instance commune qui s'appelle le Collège International d'EA, ou il y a des gens de l'association française et de l'association brésilienne, et aussi maintenant de l'association bulgare. Mais c'est un réseau comme le sont les mailles d'un filet, ça n'est pas une structure pyramidale. Joël Birman, qui travaillait beaucoup sur les questions de la politique de la colonisation, a été très sensible a l'idée qu'une fois de plus, il n'y ait pas une situation où quelque chose, venant d'Europe, ait une position hégémonique par rapport à ce qui est en train de se créer au Brésil, qui a besoin de sa propre dynamique, sa propre histoire, etc.

Je vous présente les membres d'EA présents : Catherine Mathelin, qui est une psychanalyste d'enfant, mais pas seulement, elle a écrit plusieurs livres, dont certains sont traduits en Argentine, ainsi qu'au Brésil. Laurence Croix, qui a fondé en France une revue, un journal de psychanalyse, Scansions, elle est aussi universitaire. Pierre Poisson, qui fait parti d'EA, il travaille beaucoup sur la psychose. Ignacio Gárate-Martínez, qui vit à Bordeaux, il est universitaire aussi, et va s'occuper de de notre revue qui s'appelait " logos <>ananké  ", fondée par Joël Dor et qui va s'appeler maintenant " Figures de la psychanalyse ", " Logos<>Ananke, nouvelle série ". Arlette Costecalde, qui est psychanalyste près de Paris, psychiatre aussi, elle dirige notre formation médicale continue.

Michel Sauval : Je vous demandais pour Joël Birman parce que la présence de plusieurs centaines de brésiliens aux Etats Généraux de la Psychanalyse m'a surprit beaucoup

Alain Vanier: Vous étiez aux états généraux de la psychanalyse?

Michel Sauval : Je fais partie, encore, du comité international, mais.....

Alain Vanier: ... alors on étaient ensembles....

Michel Sauval : …mais justement, je ne suis pas allé à Paris.

Nous avons monté sur PsicoNet le site de EG, mais le phénomène n'a pas été le même en Argentine qu'au Brésil. Je crois qu'en Argentine l'initiative des forums (de C. Soler) ont pris le devant et ont canalisé, en 1999, l'idée d'un espace de discussion ample.

Malheureusement cette idée n'a pas eu de suite, le forum est entré en crise, la moitié a démissionné, etc.. Mais, pour alors, les EG n'étaient plus en condition de prendre la relève.

 

Les éditions électroniques…

Alain Vanier : Je crois que les EG sont le signe d'une réunion d'un nouveau type, via Internet. René Major me disait qu'il y avait plusieurs centaines de connexions par jour sur le site des EG

Michel Sauval : Le site des EG répond aussi au goût des internautes: la disponibilité gratuite de textes et articles. Les sites institutionnels ou il n'y a que l'information des instances directives et ce genre de choses n'ont pas de succès

Alain Vanier: Certains éditeurs pensent qu'il ne faut plus faire de revue papier; dans 3 ans il n'y aura plus que des revues web", pronostiquent-ils.

Michel Sauval : en réalité, je crois, si possible, il convient d'être sur les deux formats. Surtout avec la possibilité qui commence à s'instrumenter sur plusieurs sites, de faire l'édition papier sur demande.

Alain Vanier: Voilà, Dominique Inarra, membre d'EA, et responsable de plusieurs séminaires.

Ignacio Gárate-Martínez : Je crois que sur le site d'EA nous allons bientôt ouvrir un espace pour intégrer "Figures de la Psychanalyse", notre revue. Le problème est précisément celui des textes que l'on y met. Nous avions pensé mettre tous les sommaires et toutes les références.

Est-ce que véritablement il faut mettre les textes?
C'est un problème qu'on se pose, parce que, évidement ça intéresse beaucoup les internautes, c'est très important d'offrir des textes, mais....

Il y a un site intéressant, qui s'appelle Oedipe ...

Michel Sauval : ... oui, celui de Laurent Le Varguerese ...

Ignacio Gárate-Martínez :... je me suis amusé un jour à y aller voir, j'ai trouvé un monsieur de Madrid de l'AMP....

Michel Sauval : .... Guillermo Rubio ?

Ignacio Gárate-Martínez : ...je crois qu'oui. Je lui ai écrit une lettre, parce qu'il me semblait qu'il y avait une petite partie de l'histoire qu'il racontait, que j'avais vécue de près en Espagne, qui était un peu différente. Et il m'a répondu en disant "je ne manipule pas l'histoire". Je lui ai dit, mais non, on échange, on est sur Internet, et il m'a répondu très gentiment. Finalement je lui ai posé la question: une fois que vous vous êtes rendu compte d'un aspect institutionnel difficile de votre mouvement, ¿ qu'est-ce qui vous empêche de retrouver dans la discussion ceux qui n'ont pas commis cette erreur institutionnelle?. Et là, je n'ai plus eu de réponse…

Michel Sauval : Bon, ce n'est pas un problème d'Internet, c' est un problème des personnes ... (rires)

Ignacio Gárate-Martínez : .... la connexion a mal marché.
Ce que j'essaye de dire c'est que lorsqu'on met du texte dans Internet, je ne suis pas sûr qu'il favorise l'échange. Peut-être que ça peut favoriser l'emprise.
Ce n'est pas une affirmation, c'est une question.

Michel Sauval : Je crois que tout dépend toujours des personnes ....

Ignacio Gárate-Martínez : … et dans Internet il y a beaucoup de personnes .....

Michel Sauval : Le problème que vous posez est important. Si vous allez sur certains sites, on ne vous répondra même pas. Sur d'autres sites, au contraire, le débat est possible.
En particulier, sur Acheronta, qui est une revue indépendante - nous n'avons pas de position doctrinale, sans que cela implique un oui à tout : nous ne faisons pas de l'eclecticisme - après l'édition de chaque numéro, un débat est proposé, à partir des textes publiés, sur notre liste de discussion. C'est un espace ou les auteurs aussi participent.

Ignacio Gárate-Martínez : ça c'est intéressant...

Laurence Croix: .... il y a des thématiques?

Michel Sauval : Non.
Acheronta a une particularité. Il y a certains articles que nous cherchons nous-mêmes (par exemple ce reportage) mais parallèlement, nous recevons une grande quantité d'articles qui nous sont soumis spontanément, sur lesquels nous faisons le tri, et qui composent le gros de chaque numéro.
Il n'y a donc pas de thématique sinon après coup

Ignacio Gárate-Martínez : En tous cas je crois qu'il est indispensable d'exister sur Internet, c'est la façon la plus simple d'échanger. Ça peut être extrêmement riche. Il nous faut du temps pour savoir ce que l'on veut intégrer ou pas, mais il est certain en tous cas que rapidement, et la revue et les sommaires (de Figures de la Psychanalyse) seront sur Internet.

Laurence Croix: on pourrait vous soumettre quelques articles de la revue pour publier à Acheronta

 

Les problèmes de traduction…

Michel Sauval : Parfaitement.
Nous ne faisons pas d'obstacle à la publication ou republication sur d'autres formats papier.
De fait, nous avons publié des chapitres de livres. Par exemple, nous avons publier au numéro 11 le premier chapitre du
livre de Marcelo Pasternac sur les 1236 erreurs et autres fautes à la traduction des Ecrits de Lacan à l'espagnol, commençant par le fameux "singe" en quoi s'est transformer le "linge" qui parait Bouffon. Je ne sais pas si vous connaissez : au début des Ecrits on trouve "le linge parant Bouffon", et cela est devenu, en espagnol, "el mono imitando a Buffon", c'est à dire, "le singe imitant à Bouffon", ce qui évidement pose quelques questions sur ce que voulait bien dire Lacan su le sujet du style (rires)

Ignacio Gárate-Martínez : C'est arrivé dans le séminaire de Lacan, par le malentendu propre a la sténographie.
Par exemple "les sphères a Miller": à un moment donné Lacan prononce un terme un peu complexe qui est "sphères armilliaires". Je ne saurait pas le traduire à l'espagnol, peut être "armiliarias". Mais la sténographe a mis "las esferas de Miller" ...
Ça arrive tout le temps, c'est le malentendu ça.

Michel Sauval : Par rapport à la transcription, il est évident qu'il y a beaucoup à faire. Mais pour la traduction aussi. Même quand il s'agit de textes signés para Lacan en vie, la traduction à l'espagnol.....

Ignacio Gárate-Martínez : ... à l'argentin ....

Michel Sauval : .. bon, argentin et mexicain en tous les cas, puisque c'est la traduction de Segovia, corrigée par Nasio ..

Ignacio Gárate-Martínez : Je vous dis cela parce que, si vous permettez, il y a un terme en espagnol que tout le monde utilise, et qui a pénétré la culture maintenant - et ça va être difficile d'y revenir - qui est "hiancia".

C'est le problème de comment traduire Lacan. ¿Est-ce que traduire Lacan c'est à chaque fois inventer un mot qui n'existe pas ?, ¿ou est-ce que traduire Lacan c'est enraciner dans la culture propre une création d'essence nouvelle?.

Vous avez le problème de la "béance". J'avais un maître qui écrivait la "béance" comme ça: "l'abbé Hans", c'est à dire, "el cura juanito".

Et bien T. Segovia a fait quelque chose de très semblable puisqu'il a écrit " hiancia ". J'ai cherché dans tous les dictionnaires du monde, en espagnol, et ça n'existe pas du tout.

Michel Sauval : Vous êtes sûr de cela?

Ignacio Gárate-Martínez : Mais oui. J'ai regardé la Real Academia, Maria Moliner, Corominas, et même au dictionnaire de 1870, de Roque Barcia (Seix Editor, Barcelona).

Or il existe un mot culte, mais relativement connu, qui pourrait parfaitement traduire ou équivaloir à "béance", qui est la traduction de "déhiscence", en espagnol, "dehiscencia".

Mais il a un autre mot simple qui pourrait parfaitement traduire "béance", qui est "oquedad", dérivé de "hueco". Une "béance" est une "oquedad". Et c'est joli "oquedad".

Ou bien quand on traduit "faille" par "hendidura": si je vous provoque une "hendidura" vous n'êtes pas vraiment content. "Fente" par "hendidura" ça ne vas pas non plus. "Fente " c'est une "raja", " fente " c'est par où on regarde.

Au bout d'un moment on construit effectivement un discours qui est propre et on va se demander, ¿faut-il maintenant le changer? ça fait création du sens. C'est un grand problème la traduction.

Michel Sauval: ça pose la question de la psychanalyse dans chacune des langues, parce qu'on pourrait dire que Lacan ne pouvait être que français, car tout ce jeu sur le signifiant est bien propre de l'homophonie française. Tandis qu'en espagnol on se retrouvera peut être, plutôt, avec les question de styles, par exemple les travaux de Baños Orellana sur le style, ou ce genre de préoccupations, plus proche, peut être, de Góngora (questions que Lacan n'oubliait pas, puisqu'à un moment donné il se propose comme le Góngora de la psychanalyse).

Ce problème se pose aussi pour le Portugais.
Au Brésil il y a une personne assez connue, et très discutée, qui s' appelle Magno. Une de ses particularités, entre autres, c'est qu'il est poète - il connaî t très bien sa langue, même plus, il aime beaucoup sa langue - et il propose des traductions de Lacan au portugais qui sont peut être discutable, mais qui profitent profondément de toutes les richesses de cette langue. Ses traductions ne sont pas littérales, elles impliquent, naturellement, une nouvelle création de sens.

Ignacio Gárate-Martínez : vous parlez de poètes, je crois qu'on aurait gagné énormément si l'on ne traduisait jamais rien autrement que ne l'aurait fait un poète. Prenez l'exemple de "gozo", que vous dites "goce". Si vous regardez le Quichote, simplement, imaginez-vous un instant a train de répéter le proverbe du Quichote comme "mi goce en un poce" au lieu de "mi gozo en un pozo" (rires)
Lacan dit que l'art ce n'est pas du pre-verbal, mais du verbal a la deuxième puissance. La Littérature en fait partie, et c'est sû r que si on a des poètes qui traduisent c'est merveilleux, et là, on ne discute plus de la création de sens
C'est sûr que si on a des poètes qui traduisent c'est merveilleux, et là, on ne discute plus de la création de sens

Dominique Inarra: Lacan disait que l'interprétation devrait être poétique. On se trouve dans des espaces où Joyce n'est pas loin parce que c'est la question de la traduction, la question de l'invention de mots, l'aspect multilinguistique, donc du signifiant tel qu'il peut être impliqué dans le champ de la psychanalyse, et on se trouve donc dans un espace de création lorsqu'on traduit, de toutes façons.

Michel Sauval : Nous tenons compte de cela, en partie, à Acheronta, en publiant chaque article dans sa langue d'origine, en cherchant justement que les psychanalystes se lisent non seulement entre eux, mais dans leurs langues d'origine. Ce qui exige le polylinguisme, mais pas pour une question de culture générale, sinon pour une question de pensée.

Dominique Inarra : Il faut accepter la plasticité, il faut accepter de déformer, on est condamné, en traduisant, de déformer …

Ignacio Gárate-Martínez : tout à fait. Mais déformer, ce n'est pas si grave, parce que si on respecte le génie de la langue, la déformation peut être un apprentissage pour les Français qui lisent. C'est ça qui nous a beaucoup intéressés.

Alain Vanier: Il n'y a pas de langue propre à l'inconscient. Quand Lacan dit qu'il n'est pas assez poète, c'est une affirmation positive, c'est-à-dire, il faut être poète, mais pas trop. Parce que l'interprétation et le travail sur le langage c'est la poiesis au sens grec mais c'est au-delà. C'est aussi pour cerner le vide de la poésie, d'une limite de la langue, c'est l'exemple que Lacan prend du pot de moutarde

Pierre Poisson : Une question inspirée par le travail auprès des psychotiques : est-ce que la traduction n'est pas aussi très influencée par le fait que notre rapport au symbolique qui …( …)… et que sur ce point là nous avons des divergences concernant le problème de la traduction chez les psychotiques. Je vois, dans la pratique qui est la mienne, avec des gens qui travaillent comme moi, quand nous discutons ensemble, il suffit de tendre un peu l'oreille pour se rendre compte que nous ne mettons pas la même valeur sur chaque mot, le même poids symbolique. Donc la traduction est forcément influencé par cela. Il suffit de lire les traductions de Freud, la "Standard Edition", la traduction française de Marie Bonaparte, et les nouvelles traductions. Nous avons là, beaucoup à travailler pour évaluer le poids et la valeur qu'on leur donne

Ignacio Gárate-Martínez : Il me semble que dans la traduction de Freud, si on compare Amorrortu et Ballesteros, la traduction de Ballesteros, qui est la première, est une traduction extrêmement belle - à laquelle Freud a donné sa reconnaissance importante par sa valeur littéraire, il y aune lettre qui est publiée - mais c'est vrai que Ballesteros, là où Freud dit " une femme demi-nue" ou "à moitié nue", lui, il traduit par "moitié habillée ", ce qui est amusant, parce qu'évidement il retient d'avantage l'aspect moral de l'habillement et il manque le dé voilement.

Il me semble qu'en effet, dans la psychose il y a cette manière de coller au signifiant lui-même: si on dit "mais ou ai-je donc la tête", un psychotique peut dire "mais tu l'as là, tu l'as là", au lieu d'entendre autre chose.

Mais lorsque Lacan parle de père réel, père symbolique, père imaginaire, il dit "le père besognant la mère", et qui se traduit "le père nécessitant la mère". Ce n'est pas la même chose. Besogner en français a cet aspect de travail laborieux.....

Alain Vanier : Oui, on dit "besogner une femme", c'est un mot d'argot..... ce n'est pas une invention de Lacan

Ignacio Gárate-Martínez : je dirais alors... "besogant", avec de eeeeuuuuu, eeeuuuuuu ... de bûcheron (rires) .. "trabaj ándose a la madre con quejidos de leñador". On peut dire ca, "travaillant la mère".

 

Bonneuil

L'histoire de Bonneuil

Michel Sauval : Mais puisque nous en sommes aux psychoses, je voulais vous demander pour vos liens avec Bonneuil, en particulier cette expérience de travail de transport des psychotiques sur d'autres langues en changeant de pays.

Alain Vanier : ça s'est fait à Bonneuil plusieurs fois, à partir de deux éléments. Il y a une situation première précise, une jeune fille qui était à Bonneuil, que Mannoni a souhaité envoyer en Angleterre - c'est la fille qui le demandait . Ce qui se faisait à Bonneuil partait toujours de la parole des enfants - et Mannoni, à cette époque s'intéressait aux écrits de Louis Wolfson.

C'est exactement ce que disait Pierre, tout à l'heure : pour comprendre ce que dit Wolfson, il faut penser à la théorie de la traduction de Walter Benjamin. Pour Benjamin, traduire c'est faire pivoter le texte d'une langue à une autre à partir d'un point extérieur à la langue . Ce point extérieur, nous pouvons faire l'hypothèse qu'il est ce vide au-delà du dire.

Alors le problème c'est que ce point extérieur à la langue fait défaut dans la psychose. Ce qui fait que quand un psychotique parle une autre langue, c'est la manière dont il va être habité ou parasité par un nouveau langage - puisque lui, il n'habite pas les langues, bien sûr pour reprendre le mot de Lacan, il est habité par la langue.

Ça construit une sorte de défense. Mannoni racontait cette anecdote: Wolfson, était passé au français pour écrire "le schizo et les langues ", et correspondait avec Pontalis, son éditeur . Il était arrive à une maîtrise du français, tout à fait excellente. À ce moment-là le français est devenue une langue effroyable, c'est à dire qu'il a retrouvé l'exclusion de la langue maternelle dans le français, les signifiants qu'il avait fui dans sa langue première et il a répondu, dans ses derniers échanges avec Pontalis " ne m'écrivez plus en français, maintenant je suis dans l'allemand ".

L'idée de Mannoni c'était ça. User d'une autre langue. Ça c'est fait avec l'Angleterre, où des enfants sont allés dans des familles d'accueil anglaises pour essayer de parler, d'habiter une autre langue.

Mais ce que Lacan rappelait avec Joyce, ce que disait tout à l'heure Dominique Inarra, et qui est très important, et que manifestent les psychotiques, c'est une dimension translinguistique, qui fait que l'inconscient n'a pas de langue.

Si nous nous polarisons sur l'idée des langues, une par une, au sens d'un corpus constitué par un lexique et une grammaire, nous sommes dans une certaine erreur par rapport à la psychanalyse. C'est pourquoi quelqu'un qui est espagnol peut faire une analyse avec un analyste français. Et quelqu'un qui est français peut faire une analyse avec un espagnol.

Il y a quelque chose de translinguistique dans le travail même du processus primaire qui fait que nous sommes constamment - et c'est ce dont témoigne Joyce, ses écrits - que nous obtenons les mêmes effets que les psychotiques quand on les fait passer à l'écrit. Le fait qu'un psychotique puisse écrire, par exemple, a une fonction très importante qui a été relevée par Lacan, mais qui était au fond pratiquée spontanément dans les institutions depuis très longtemps.

Pierre Poisson : C'est ce qu'explique très bien Tosquelles : il dit qu'il a commencé son analyse avec un hongrois qui ne connaissait que 2 à 3 cents mots de catalan.

Alain Vanier : C'est pour cela que la question de la traduction dans la psychose est très importante. A la limite, les psychotiques sont les seuls vrais traducteurs, puisqu'ils traduisent, véritablement, la langue dans la langue, sans cet élément tiers autour duquel on peut faire pivoter la langue pour pouvoir produire une traduction.

Michel Sauval : Il y a t il une marque de Bonneuil dans votre institution ?

Alain Vanier : Notre institution, son origine est dans Bonneuil. C'est un style institutionnel.

Pour le dire en quelques mots (ce serait très long de faire l'histoire de Bonneuil), il y a quelque chose de complètement paradoxal déjà dans la création de Bonneuil, même s'il y avait de points de convergence avec la psychothérapie institutionnelle.

Il y a au moins deux théories des psychoses chez Lacan.

Le premier temps de la théorie de la psychose chez Lacan c'est l'établissement de la question de la forclusion du nom du père. La conséquence de cet établissement par Lacan, auquel restent attachés beaucoup de psychanalystes, ça aboutit à l'idée qu'au fond on ne peut rien faire avec les psychotiques. Puisque la forclusion est irréversible, on ne peut rien faire.

Et le paradoxe c'est que c'est au moment où Lacan énonce cela et que toute la psychiatrie française prend appui sur lui, c'est alors que Maud Mannoni - qui était pourtant très proche de Lacan a l'époque, elle a été la première à publier dans la collection que Lacan avait créé aux éditions du Seuil qui s'appelait " Le champ freudien " - Maud proposait une esquisse d'une autre approche des psychoses, à partir de la débilité mentale, de l'arriération. Lacan a repris tout ce la en parlant d'holophrase de la première paire de signifiants où il met en série, d'ailleurs, la débilité, les phénomènes psychosomatiques et les psychoses -, c'était déjà une autre ouverture.

A l'époque, Mannoni travaillait aussi avec Winnicott, elle était en contrôle chez lui. À cette époque, elle a organisé un grand congrès - qu'il faut connaître, que nous avons publié chez Denoël, je crois que c'est traduit ici - qui s'appelle "  Enfance aliénée ", en 1967, en association avec Ginette Raimbault. Et à ce congrès, Mannoni avait invité Winnicott, qui, pour des raisons de pure politique, n'est pas venu, mais a envoyé deux de ses élèves. Un de ces élèves c'était Ronald Laing.

Je signale, d'ailleurs, que l'origine de la formule comme quoi il faut trois générations pour faire un psychotique, que certains attribuent à Dolto, d'autres à Lacan, c'est Cooper qui annonce ça dans son exposé lors de ce congrès. Donc, il y a une dette de Lacan envers ce congrès.

Puis il y a eu les événements politiques de mai 68, c'est très important aussi.

Mannoni est allée à Kingsley Hall, dans les années 65, 66, où on pratiquait cette " régression réelle " avec les psychotiques - la fameuse histoire de Mary Barnes, qui peignait les murs avec de la merde, et puis Laing ou Berke qui passe et qui dit, ça manque de couleurs, et elle devient peintre.

Donc en 1969, Mannoni, mais pas seule, avec Robert Lefort, et surtout avec Rosemarie et Yves Guérin, crée Bonneuil.

Mannoni pensait qu'il ne pouvait pas avoir un traitement de psychotiques sans qu'il y ait une dimension institutionnelle.

Elle avait en analyse un petit garçon, qui était un autiste, que j'ai connu d'ailleurs, qui était à Bonneuil, Léon dans ses livres. Il était le fils de gens aisés qui ne voulaient pas que cet enfant aille à l'hôpital psychiatrique. Donc, ils avaient les moyens, et ils ont embauché une éducatrice á domicile qui s'occupait en permanence de lui, et cette éducatrice c'était Rose-Marie Guérin.

Et à partir de là, les Guerin ont acheté un pavillon, qui était simplement leur maison, la maison dans laquelle ils habitaient, dans laquelle il ont mis Léon: ça a été la naissance de Bonneuil.

Donc, ça a été une conjonction entre, d'une part le courant antipsychiatrique, mais en refusant les théories antipsychiatriques, en refusant la théorie de la régression réelle, en refusant l'appui théorique que Laing allait chercher chez Sartre, et en refusant donc tout ce qui était l'appareillage idéologique de l'antipsychiatrie, et en prenant appui, par contre, sur la psychanalyse et l'enseignement de Lacan.

Par exemple, Mannoni a transformé l'idée de l'institution comme cadre pour l'idée de l'institution comme champ de langage, en essayant d'introduire tout ce qui était de l'ordre de l'organisation symbolique à l'intérieur du champ institutionnel en sachant, en même temps, que cette organisation symbolique, représentée par les règlements, ça n'était pas le symbolique.

Il y a une histoire que je cite toujours pour montrer les points paradoxaux. Il y avait un gosse de Bonneuil qui était un grand paranoïaque, avec un délire sur le nazisme. Il avait une grande passion pour les nazis. Mais il estimait que les nazis s'étaient trompés dans le fait de mettre des juifs dans des camps de concentration au lieu des femmes. Et donc, dès qu'il est arrivé à Bonneuil, il joignait le geste à la parole et dès qu'une femme passait, ce garçon se jetait sur elle pour lui arracher les cheveux et lui taper dessus.

Et à Bonneuil on l'a laissé délirer. Il a créé une religion, qui était la religion du dieu Pelchat à qui il parlait en russe, puis il faisait une grande cérémonie dans le jardin de Bonneuil, avec tous les enfants de Bonneuil et puis, a un moment donné, il a eu une espèce de rejet de ces enfants fou, qui étaient plus débiles que lui, ils les a rejetés, et il a demandé à aller travailler dans un garage.

(Cambio de casette)

A cause de ce monde extérieur, du monde du travail, il a commencé à être travaillé par les questions sexuelles. C'est à dire qu'il ne voulait plus tabasser les femmes, mais il voulait les besogner, pour reprendre le mot de tout à l'heure. Et il s'est mit à draguer les filles de Bonneuil.

Or, Bonneuil était en grandes difficultés politiques à l'époque, par rapport à l'administration. Mannoni avait peur qu'on puisse être fermé pour incitation de mineurs à la débauche. Donc, lors d'une réunion, on a demandé aux pè res des filles de Bonneuil s'ils étaient d'accord pour mettre leurs filles en circulation (le symbolique, Lévi-Strauss) dans Bonneuil, pour que les garçons de Bonneuil puissent sauter les filles.

On a demandé aux pères qui, bien sûr, ont dit non. On lui a dit, "  les pères ne sont pas d'accord ", et il a eu une réponse qui donne la limite du traitement institutionnel des psychoses, du bricolage symbolique et il a dit, " mais alors c'est comme si on s'appelait tous Bonneuil ".

Donc, Bonneuil a véritablement supporté tout ce qui se faisait à l'époque dans le champ de la psychiatrie d'enfants. Pour Mannoni, la ségrégation la plus importante n'était pas la plus voyante, celle contre les psychotiques. Pour le cas des enfants, il y avait une ségrégation redoublée du fait qu'il s'agissait d'enfants. Pour Mannoni, ce qui est en train de se produire dans le monde aujourd'hui, c'est-à-dire, toute cette culture de l'enfance, ce marché de l'enfance, c'est un mode de ségrégation " dorée ", si vous voulez, mais de ségrégation, de l'enfance. Et pour elle, il s'agissait de lutter aussi contre ca, c'est-à-dire contre les joujoux, l'occupation, etc., et de réintégrer les enfants de quelque chose qui était dans la circulation propre aux groupes sociaux, au monde adulte.

Alors, si on fait l'historique d'Espace Analytique, alors peut être c'est ça.

La naissance d'Espace Analytique…

Michel Sauval : Mais il y a aussi d'autres origines ou provenances, puisqu'il a des membres qui viennent de l'IPA, des proches de Dolto, etc.

Alain Vanier : Bonneuil a continué, c'est devenu un lieu très réputé puisque ça a refondé, remanié tout le mode de traitement des psychoses de l'enfant en France. Il n'y a pas une seule institution en France qui n'ait une dette à l'égard de Bonneuil.

En 80, quand Lacan a dissout l'EFP, les Mannoni étaient marginaux à l'EFP, ils étaient très célèbres, mais ils étaient devenus très marginaux. Lacan, à chaque crise institutionnelle a suivi toujours la même stratégie : il a toujours misé sur la génération suivante. À chaque crise Lacan a écarté la génération antérieure et mit en place une génération nouvelle.

C'était aussi une position de Mannoni : toujours mettre les jeunes en avant.

Donc, les Mannoni se sont retrouvés avec le groupe des anciens, qui avait transitoirement constitué le Centre d'Études et de Recherches Freudiennes (CERF), qui a été très important mais qui a rapidement éclaté.

Et à l'époque nous discutions très souvent avec les Mannoni. L'idée était venue, c'était ma proposition, de ne pas créer d'institution, mais quelque chose à partir de Bonneuil qui soit comme la Tavistok Clinic en Angleterre, c'est-à-dire, quelque chose qui soit transinstitutionel, ou des gens de toutes les associations psychanalytiques pourraient venir, et qui serait un lieu de formation et d'enseignement à la psychanalyse de l'enfant. Je trouvais qu'on ne donnait pas à Bonneuil la dimension enseignante et la dimension de formation que ce lieu pouvait avoir.

Parce qu'à la différence de l'Angleterre, la psychanalyse d'enfant, en France, est un parent pauvre, une activité pour débutant. Et quand les analystes sont chevronnés, commencent à avoir une certaine respectabilité, de la clientèle, ils ne reçoivent plus d'enfants: ça fiche le bazar dans la maison, ils vous mettent de la couleur partout, et ils prennent trop de temps, on les laisse aux jeunes. (rires)

Bon, à cette époque là, donc, nous discutions de cela avec Maud. Elle a lancé un appel pour réunir des gens, un peu au hasard, pour créer éventuellement ce lieu qui serait au-delà de toute la diasporisation qu'on pouvait supposer, à ce moment, du mouvement psychanalytique.

Et puis, à cet appel, beaucoup de monde est venu, beaucoup d'anciens que Mannoni ne pensait pas pouvoir mobiliser. Et je dirais que la création du CFRP a été un véritable acte manqué. Acte manqué parce que Mannoni a été portée au-delà de l'acte qu'elle pensait faire. Elle pensait ne créer qu'une association pour travailler la psychanalyse d'enfant, qui serait ouverte à toutes les associations psychanalytiques, et la réponse qui a été faite à son appel l'a conduite à créer une association psychanalytique, une école.

Elle a demandé à quelqu'un d'une autre génération, à Patrick Guyormard, de s'associer avec elle, et Octave Mannoni, pour fonder le CFRP. Elle voulait donner une place à la génération suivante, donc elle a constitué un bureau avec que des gens de la jeune génération, Catherine Mathelin, Claude Boukobza , etc. Moi j'étais trésorier un début de cette association.

A l'époque je faisais un s éminaire sur les psychoses, à la demande de Mannoni, pour relancer le travail théorique à Bonneuil. C'est dans ce séminaire que Mannoni a choisi la plus grande part du premier bureau du CFRP.

Le CFRP a polarisé, à mon avis, tout un mouvement de rejet de Lacan, oppositions théoriques et haines personnelles, déçus divers, avec en commun, plus ou moins, un refus du " deuxième " Lacan, une hostilité à la passe, etc.

Au fond, on ne revient qu'à prendre au sérieux le refoulement.

Lacan disait, " les seuls qui peuvent me lire convenablement - il disait ça de Lacoue-Labarthe et Nancy - c'est ceux qui me haïssent convenablement ".

Donc, ça a été un rassemblement comme ça qui a été très important numériquement.

Le temps a passé, des questions ont fait retour, et nous sommes arrivés à une situation de crise.

D'une part à la naissance d'une nouvelle génération analytique, puisque cette crise est arrivée au bout de 12 ou 13 ans d'existence. D'autre part, au fait que le rapport à Lacan n'était plus le même, un deuil avait été fait pour beaucoup, qui permettait au groupe de revenir à Lacan d'une autre manière.

Mannoni y faisait retour, bien plus qu'au début. Et ça a créé une espèce de clivage entre ceux qui, au fond gardait en héritage, comme lien, cette espèce de haine à Lacan, je le dirais comme ça, cet amour-haine de Lacan, et ceux pour qui la question ne se posait plus de la même manière, soit que le lien à la personne de Lacan avait été suffisamment lointain pour ne pas trop les encombrer, soit qu'un deuil leur avait permis de modifier leur position. Ça c'est cristallisé autour d'un problème de publication de livres.

Mannoni a fondé alors une deuxième association en 94, et en 95 le CFRP a été dissout. Espace Analytique est né de là.

Donc, à la fois nous assumons toute l'histoire de la psychanalyse depuis l'EFP, nous en sommes le produit, et en même temps, la coupure de la fondation d'Espace Analytique est aussi une coupure radicale avec ce qu'il y avait avant.

Ignacio Gárate-Martínez : Avec ceci qui se dégage, de ce que vient de dire Alain Vanier, que dans toute cette histoire, depuis le début, les gens n'ont peut être pas tous compris que Maud Mannoni ne rejetait rien de la théorie lacanienne, au sens large du terme, mais restait accrochée à ce qui était la marque de sa propre histoire.

Parce que Vanier racontait, l'enfance méprisée, ce n'était pas une idée littéraire pour elle. C'est quelque chose qui était incarné dans sa chair, elle en parlait encore avec douleur, de comment en Hollande on l'appelait "Mode de Paris", et donc elle a maintenu envers et contre tout, tout Lacan, mais c'est le patient qui nous enseigne. Tout Lacan, mais c'est le patient qui nous enseigne.

Et Lacan était d'accord puisque dans le séminaire RSI, il dit très clairement, le noeud borroméen ne sert qu'à revenir à l'expérience d'où il sort. Mannoni le disait : on apprend du patient.

Alain Vanier : Le problème dans cette affaire c'est que Mannoni a fait un pari sur les jeunes générations, et nous devons continuer à le faire, parce qu'il y a une chance, jamais assurée, qu'ils sachent traiter autrement ce dont ils sont les héritiers.

Le problème qui donne une chance à la psychanalyse en Argentine, et qui a été une difficulté de la psychanalyse en France, c'est le rapport à la personne de Lacan.

C'est très difficile, c'est pour cela que je ne suis pas entré dans les aspects plus particuliers de cette histoire.

Il y a des déterminants très important dans cette affaire. Tous les liens d'amour et de haine, de fratrie, de tous les gens qui ont accompagné Lacan pendant toutes ces années, tout ceci a eu une importance considérable dans le paysage psychanalytique en France.

Ce qui est paradoxal, c'est que, si le paysage a été dessiné par ces rivalités imaginaires et ces haines, ces rivalités imaginaires et ces haines ont conduit aussi à des distinctions théoriques. Elles ont produit des travaux, frayé des voies qui aujourd'hui font partie de ce qui se transmet. Peut-on ne pas "déposer sa névrose dans sa théorie" ?

Le paradoxe c'est que, de même qu'on n'est jamais en face du symbolique pur, on est rarement en face de l'imaginaire pur non plus, c'est-à-dire, on ne peut pas réduire ces querelles à de simples histoires du narcissisme des petites différences, à des problèmes seulement de groupes. Il y a toujours, méconnus, mêlés des enjeux d'une autre nature.

Mannoni a fait toujours ce pari. Elle disait, elle-même, que certaines choses de Lacan ne l'intéressaient pas parce que ça ne lui servait pas et qu'elle n'y comprenait rien. Elle n'était pas d'accord avec certains types de pratiques, sa conception de l'institution la conduisait à ne croire, ni à la passe, ni, d'ailleurs, au début, aux jurys que nous avions mis en place. Elle pensait que l'institution était quelque chose de très accessoire, et son idée, au départ était celle d'une institution minimale.

Mais, nous avons pris au sérieux l'expérience. Mannoni n'a jamais fonctionné comme un chef d'école, elle a fonctionné, avec la position phobique qui était la sienne, comme quelqu'un qui gardait vide la place d'un chef potentiel.

Michel Sauval : pourrait-on penser à une division entre ceux qui ont voulu faire partie de la famille de Lacan et ceux qui non ?

Alain Vanier : oui, par exemple

Espace Analytique aujourd'hui, c'est cela qui importe au delà de l'histoire, ce qui fait l'intérêt de cette association c'est une association d'un nouveau type, c'est à dire que, ce n'est pas une association qui se regroupe autour d'un leader charismatique, c'est à dire, quelqu'un qui tiendrait sa légitimité, par exemple, d'avoir été parmi les proches de Lacan.

Nous avons un rapport, au fond, qui peut être n'est pas sans rapport avec la position de ceux qui ont connu Lacan a l'étranger, dans d'autres langues, c'est-à-dire, nous nous référons à Lacan, mais nous avons une certaine liberté dans la lecture, il n'y a pas UN interprète autorisé de la lettre de Lacan. Nous avons des lectures extrêmement diverses.

Nous avons fait un pari : le pari que nous avons une pratique commune, ce dont nous ne savons rien, si nous sommes rigoureux en psychanalyse. Et le travail théorique consiste à vérifier que ce pari peut tenir. Par exemple, dans les journées d'hier, il y avait 5 ou 6 intervenants d'EA, je ne savais pas d'avance ce qu'ils allaient dire, et ils sont tous intervenus avec beaucoup de liberté, je pense que cela a été sensible, avec de grandes différences de style, et, en même temps, il y avait des points de convergence assez étonnants dans tous les exposé s.

C'est là, l'héritage véritable que nous avons de Mannoni, c'est un souci, d' une part de ce qui est a la limite même de la pratique analytique : la psychose, l'enfant, les pathologies nouvelles et le souci politique, le socio-politique mais dans la clinique, c'est-à-dire, la façon dont l'époque marque la clinique, la remanie et la recrée.

Au fond, la clinique de Maud, quand on travaillait avec elle, quand on connaissait ses textes, elle tournait bien plus autour du dernier Lacan que du premier.

Ignacio Gárate-Martínez : Contrairement aux apparences.

Laurence Croix: A la fin du congrès on m'a demandé si on avait travaillé ensemble les textes, comme si ceux qui avaient parlé étaient des représentants des autres. J'ai répondu, absolument pas.

Je suis assez récente à EA, et pour quelqu'un de ma génération, qui n'a pas connu Lacan, qui a un autre rapport à la théorie lacanienne, si on veut travailler Lacan et Freud, mais pas à travers telle ou telle personne, vraiment il n'y a qu'EA. Il y a une liberté de discours. Il faut pouvoir le préserver et c'est ce qui me semble le plus difficile.

Ignacio Gárate-Martínez : Je ne crois pas que ce sera difficile parce que ce que, tout à l'heure, Alain Vanier a dit, que, par exemple, Maud Mannoni était extrêmement réticente a la passe, et lorsque Vanier a élaboré un texte, parce qu'a un moment donné, la question de la formation, se posait, comment on fait pour faire ce passage ? On ne fait rien ? Comment faire pour qu'autrement que dans un cours universitaire on puisse dire à quelqu'un " et oui, on te reconnaît parmi nos pairs ". Qu'est ce qui se passe ?. C' est là l'élaboration du jury d'association....

Michel Sauval : c'était déjà mis en place au CFRP ?

Ignacio Gárate-Martínez : déjà au CFRP. Vanier a dit tout à l'heure que Mannoni n'y croyait pas. En tout cas elle ne considérait pas ça forcement nécessaire, elle le considérait peut être intéressant, ou peut être inefficace.

Mais elle a laissé faire, et c'est très important. Maud encourageait les initiatives, toujours. Mais en plus, elle pourrait dire, j'encourage les initiatives, mas moi je reste dans mon jardin. Lorsque le jury d'association, qu'elle écoutait attentivement, a commencé à produire des résultats, elle a dit, " ah, mais il faut faire un livre avec ces témoignages du jury d'association ".

Mais aussi dans un autre livre, celui dont parlait Vanier tout à l'heure, "L'enfance aliénée", Lacan vient parler (Lacan était très reconnaissant à Maud Mannoni, extrêmement reconnaissant), et il a dit, " c'est à l'immense générosité de Maud qu'on doit ces journées ". Et Lacan n'était pas quelqu'un qui passait de la pommade aux gens comme ça. Cette générosité c'est peut être notre chance que ça ne soit pas difficile après.

Par exemple, lorsque Alain a été élu président de l'association: ça n'aurait pas de sens qu'à EA on n'encourage pas les initiatives et les gens nouveaux - comme Dominique Inarra, qui est quelqu'un qui travaille beaucoup, nous sommes très contents quand il est venu a EA, Alain et d'autres lui ont offert "tu veux faire un séminaire, les portes sont ouvertes" - c'est exactement le contraire de ce qu'on voit d'habitude.

Excusez-moi si ça semble une publicité, je ne veux pas faire de publicité extraordinaire, mais c'est une vérité. Par exemple, pour les journées de Convergencia, Alain disait "il faut que Dominique fasse un travail", et pas "il faut qu'il attende son tour, il y a nous d'abord".

Non, le sang nouveau enrichit toujours, même, et surtout, si on n'est pas d'accord: ça c'est le style d'EA, même et surtout si on n'est pas d'accord. Je crois que la phrase de Voltaire : "je hais ce que tu dis mais je serais capable de donner ma vie pour que tu puisses continuer à le dire". Nous pourrions la faire nôtre aujourd'hui.

Alain Vanier : Mannoni est la seule, parmi ceux qui ont fondé une association, après la dissolution de l'EFP, qui ait eu dans son histoire une grande expérience institutionnelle, je pense qu'elle est la seule. Alors, pour Mannoni, il y avait une pensée de l'institution, qui a été importante par rapport à EA. Et en particulier, ce qui frappait les gens - je pense à une remarque de Patrick Landman, quand il est arrivé à EA : il a été frappé par la convivialité, la cordialité de Mannoni - quand quelqu'un faisait un exposé dans un colloque, même si elle n'était pas d'accord, même si elle disait parfois qu'elle n'avait rien compris, quand elle intervenait, elle commençait toujours par remercier très chaleureusement la personne qui avait exposé quelque chose parce que, disait-elle, il y avait eu du travail. C'est d'ailleurs cette reconnaissance de la parole de l'autre, d'une originalité, du risque qui a ét é pris d'une avancée, du courage d'avoir osé dire quelque chose qui n'est pas nécessairement dans la doxa, dans l'habitude, qu'elle reconnaissait toujours. Après venait la discussion.

Et on peut dire que l'héritage de Mannoni c'est ça, c'est ce travail. Les psychothérapeutes institutionnels ont un mot qui est " l'ambiance " - c'est Oury qui avait inventé ce concept - c'est ce travail sur l'ambiance, auquel on a toujours accordé une très grande importance, et qui fait que, jamais personne à EA ne se fera réprimander pour avoir dit quelque chose qui n'irait pas dans la " ligne ".

Ce qui fait que nous sommes lacaniens - bien, qu' il y ait des gens chez nous qui travaillent plutôt avec les concepts de Winnicott, par exemple, ou avec Mélanie Klein, ou plutôt, principalement avec Freud qu'avec Lacan -, c'est que nous ne pouvons pas méconnaître - puisque ceux qui le méconnaissent en font autant sans le savoir - nous ne pouvons pas méconnaître qu'aujourd'hui nous ne pouvons plus lire, quoique ce soit dans la psychanalyse, sans Lacan, avec ou contre, mais pas sans.

Quelque chose peut être parfois mal dit, ça peut être dit de façon trébuchante, pas rigoureuse, ou pas conceptuelle, etc., mais si quelqu'un parle, alors on l'écoute. Et ça c'est fondamental.

A partir de là, il n'y a aucune raison de nier que la psychanalyse est un effort de rigueur, etc. Tout cela est fondamental. Nous ne rejetons pas la parole de Lacan, bien au contraire. Son effort de rigueur dans la psychanalyse est tout à fait essentiel. Mais la psychanalyse c'est aussi la tentative que quelqu'un, soit dans le cabinet de l'analyste, ou parfois dans une communication institutionnelle, quelqu'un essaye de dire quelque chose, quelqu'un parle, alors il faut l'écouter

Ignacio Gárate-Martínez : A telle enseigne, et ça je crois que je ne l'ai jamais rencontré nulle part. Nous avons tous, comme étant issus de la dissolution de l'EFP, beaucoup voyagé - moi en tout cas j'ai beaucoup voyagé pendant très peu de jours, mais j'ai beaucoup voyagé dans les différentes institutions qui en sont issues, je ne suis arrivé au CFRP qu'en 88. J'avais rencontré Octave Mannoni, l'époux de Maud, en 82, au moment de la fondation mais je n'ai pas compris quand il m'a dit " nous venons de fonder une institution pour les jeunes ".....

Les jeunes ? (il regarde autour ... rires).

J'ai mit 6 ans à comprendre.

Et ce qui est très curieux : j'habite Bordeaux, donc, je suis arrivé a Paris, et je me suis dit, ce n'est pas possible, je ne suis pas à Paris.. parce que, je me rappelle de Catherine, de Claude, etc., la première fois que suis arrivé à une réunion - le Bordelais de province qui arrive - Catherine avait des petites lunettes comme ca, et elle me sourit..... elle n'est pas lacanienne.... (rires)

Il y a quelque chose : je crois que le péché chez nous c'est lorsqu'on ne peut pas dire tout ce que l'on veut. Alain vient de le dire : il y a beaucoup de cliniciens, c'est fondamentalement des cliniciens. Donc, si quelqu'un parle fondé sur son expérience, c'est à dire, au-delà de l'imposture du faiseur, du faiseur de costumes, si quelqu'un parle à partir de ce qui fonde son expérience, même s'il le dit maladroitement, l'autre dira, " ah ça me rappelle ce que j'ai vu ", et peut ê tre ensuite il va essayer de donner un fondement théorique plus rigoureux, mais ce qui est un péché à EA c'est de rompre la convivialité pour se mettre contre quelqu'un. On n'en veut pas, parce qu'on sait à quel point se mettre " contre " c'est coller dans la haine, que nous savons tous qu'elle est là, on le sait tous parfaitement, que c'est insupportable qu'il y ait quelqu'un d'autre que nous, mais nous en avons fait un principe. On peut tout dire, mais pas " contre quelqu'un ".

Figures de la modernité et politique

Convergencia

Michel Sauval : Mais, puisque vous le soulignez, beaucoup pensent que Convergencia, mouvement dont vous participez, se constitue en " opposition ", comme une réaction de plusieurs groupes mineurs, régionaux, contre les grandes centrales de la psychanalyse

Ignacio Gárate-Martínez : .... ce n'est pas notre lecture. Ce que nous avons écouté, par exemple à Buenos Aires, c'est : Convergencia, c'est très bien, parce que ça permet que beaucoup de petits groupes, qui ne parlaient pas entre eux, de parler entre eux, de travailler ensemble. Beaucoup de petits groupes, et quelques-uns pas si petits, désiraient se réunir au-delà des ruptures. Je n'ai pas entendu la moindre critique, sauf les blagues entre nous et contre nous. Sur l'essentiel, à Convergencia, tel que nous l'avons entendu ici, a été constaté qu'il était ridicule que des gens se séparent en petits royaumes féodaux, sans avoir des lieux d'échange.

Ce n'est " contre " personne, c'est " pour " la psychanalyse.

Alain Vanier : Ce qui pour nous a été particulier dans la proposition à EA, et qui a été une difficulté dans les groupes français - en tout cas c'est la leçon que moi j'en ai retirée pour avoir participé a d'autres tentatives de regroupement avant Convergencia - c'est qu'il y avait des difficultés, des tensions très importantes entre les groupes, en fonction de l'histoire propre de chacun avec tel autre membre de tel groupe, il y avait des tensions terribles parce que les blessures étaient parfois très fraîches, les choses n'étaient pas cicatrisées, et c'était extrêmement difficile de pouvoir créer un regroupement comme cela.

À EA, nous avons décidé que nous ne serions jamais dans une position de méfiance par rapport à quelque proposition de travail qui nous serait faite. Ce qui fait que, ces propositions de travail qui nous vienne de nos collègues de petits groupes ou de groupes moyens ou importants numériquement, nous l'acceptons, nous travaillons avec cette idée. Et Convergencia est pour nous une chance, parce que Convergencia introduit d'une façon plus radicale, de l'hétérogène. Même au-delà de la différence des langues, il y a la différence du lien aux textes et à l'enseignement de Lacan, ne serait-ce qu'à cause de l'éloignement, à caus e de la traduction dont vous parliez tout à l'heure, à cause de procédures qui sont différentes pour chacun.

Et de la même manière qu'il me semble - là je parle hypothétiquement - que Convergencia a permis à des groupes argentins qui ne se parlaient plus, de travailler ensemble, ça permet la même chose pour les groupes français, et je crois que c'est cet ensemble là qui est important. Convergencia m'intéresse plus sous cet aspect positif comme projet politique que sur l'aspect négatif d'un regroupement de gens contre quelqu'un. On ne réussit jamais rien contre quelqu'un parce que le regroupement " contre " c'est toujours un regroupement paranoïaque, et à ce moment-là, quand on n'arrive plus à situer l'objet à l'extérieur, il revient à l'intérieur. Un regroupement fait uniquement contre quelqu'un - on le voit constamment dans l'histoire politique - c'est toujours un regroupement qui finit par se tuer lui-même.

Convergencia, l'esprit dans lequel EA y participe, c'est cet esprit positif.

Il faut penser que de la même façon qu'à l'intérieur d'EA nous pensons que chaque collègue qui ne parle pas forcément la même langue analytique que nous tient un bout de l'expérience et de la vérité de l'expérience analytique que nous pouvons méconnaître, qu'il a quelque chose à nous apprendre, de la même manière nous pensons que les autres institutions, avec lesquelles nous allons entrer en dialogue, sont des institutions qui ont attrapé un bout de quelque chose que Lacan a isolé, travaillé, et que nous, peut-être, nous ne travaillons pas autant à ce moment-là, et que, dans ces échanges-là, de même que dans les échanges que nous avons avec d'autres institutions, quelque chose qui va enseigner l'institution.

Ce qui fait que c'est plus une sorte de mouvement interne constant, dans l'institution, qui fait que nous travaillons ensemble, sans que nous ayons besoin de nous concerter avant un colloque comme celui-ci, pour qu'il y ait une convergence, à un autre niveau, entre les exposés des membres d'EA. Nous n'avons pas travaillé ensemble pour donner une cohérence artificielle aux exposés, comme dit Dominique, mais il y a un " esprit ", disons-le comme ça ....

Michel Sauval : Reprenons le point. Il ne s'agit pas seulement de la dialectique propre d'un mouvement. Il y a aussi l'incidence de la situation internationale, les effets de la globalisation.
Par exemple, nous vivons une situation culturelle dominée par les idées de Fukuyama de la fin de l'histoire, ou le capitalisme serait éternel, ou il n'y aurait plus de révolutions, et nous vivons dans un marché globalisé, ou chacun a à se débrouiller avec ce marché.

Ce qui pose certains défis, surtout du point de vue institutionnel, pour ce qui est l'affaire de l'administration de ce "marché" psychanalytique.

D'autre part, les changements sont importants aussi du point de vue de la sexualité et la vie quotidienne. Ce n'est plus le temps de papa, maman, et l'hétérosexualité. Maintenant il s'agit de couples gays qui adoptent des enfants, de pratiques sexuelles beaucoup plus hétérodoxes, etc.

Comment voyez-vous ces défis pour la psychanalyse ?

Quels seraient les nouveaux interlocuteurs, dans le champ de la culture, de la psychanalyse ?

Je vous pose ces questions parce que je crois que les questions institutionnelles, les regroupements institutionnels, ne sont pas indépendants de ces réalités.
Il ne s'agit pas simplement du manque d'un maître qui ferait le groupe, comme dans le temps de Lacan, mais aussi des effets de cette situation nouvelle.

Ignacio Gárate-Martínez : A un moment donné il y a eu en Espagne un marchand de chaussures qui s'est mis à faire des " couples " de chaussures, au lieu de " paires " de chaussures, c'est à dire, des chaussures différentes l'une de l'autre. Je crois qu'il va falloir un certain courage pour se maintenir sur deux points. Premièrement, je ne crois pas que l'institution psychanalytique puisse se mettre contre la globalisation, ni contre la fin de l'histoire, et ces choses là. Il est certain que tant qu'il y aura un groupe, quel qu'il soit, qui tentera de ne pas renoncer à la différence radicale, c'est à dire, à ce qui fait la division et la chute de l'objet cause du désir, et bien il y aura une voie différente qui ne sera pas globalisante.

Deuxième point, Claude l'a très bien dit à la télévision, il faut un certain courage pour parler, et une certaine dimension, no seulement d'une politique de l'analyse, mais de l'analyse dans le politique, c'est à dire que, on ne peut pas assister à la mutation sociale en faisant semblant de croire que c'est forcement du progrès. Le progrès et la mutation ce n'est pas la même chose, et il est très rare qu'il y ait du progrès sans subversion du paradigme, c'est à dire, sans paradigme, c'est à dire, sans émergence d'un nouveau paradigme.

C'est pour cela que le travail d'une institution psychanalytique, mais, il me semble, le travail de toute autre institution quelconque, d'une institution d'êtres parlants, c'est de tenter de poursuivre son chemin en restant attentifs aux ruptures paradigmatiques.

Par exemple, Dominique Inarra et sa conférence :  je ne l'avais pas comprise et Alain me l'a expliquée. Je lui ai demandé ce qu'il en est de la raison graphique, et dans l'après-coup j'ai pensé, mais c'est remarquable ce travail, je croyais être dans la continuité, et par l'échange je me suis rendu compte que j'étais dans la rupture. Et bien, c'est la position institutionnelle, ce qui ce passe chez nous, où je crois entendre du même, et un tiers me montre qu'il y a de la rupture. Je crois que c'est la fonction de la psychanalyse dans la société.

Dominique Inarra : C'est ce qui est nécessaire pour maintenir l'ouverture de l'inconscient, dont nous courrons le risque, aujourd'hui, d'une fermeture définitive.
Cela nécessite, de notre part, une lecture de toutes les transformations sociales en cours, qui sont extrêmement difficiles à lire. Et le travail que nous avons à faire, c'est justement de parvenir à produire des lectures des transformations sociales.

Michel Sauval : Parlant de risques, ne voyez-vous pas là un autre risque: celui de déraper vers la demande que nous pose l'establishment, de faire de la philosophie politique, de donner des réponses existentielles ?

Dominique Inarra : On ne peut y couper. Du risque, il y en a. C'est le risque que nous devons courir, le risque de lectures nouvelles. Autrement, la psychanalyse est condamnée à terme.

 

Le réel de la globalisation…

Alain Vanier : Qu'est-ce que c'est l'histoire, ou l'avancée de l'histoire, puisque vous parlez de la globalisation ? C'est ce qui arrive. Ça prend toujours la figure, pour tout un chacun, si on le prend au sérieux, ça prend la figure de quelque chose qui est de l'ordre du réel.

Quelles sont les réponses que nous allons pouvoir produire ?

Quand Lacan dit que la psychanalyse doit se réinventer, que chaque psychanalyste est forcé de réinventer la psychanalyse - on entend ça dans les associations psychanalytiques, souvent, comme un mot d'ordre ou une exaltation de l'individualité : on réinvente, on réinvente.....

Michel Sauval : ...tout le monde "réinvente"....

Alain Vanier : Voilà, c'est ridicule.

Le problème c'est que pour réinventer la psychanalyse il faut qu'il y ait un réel qui surgisse. Safouan, dans une conversation que j'avais avec lui, disait " quelle chance a eu Freud de rencontrer l'homme aux loups ". C'est à dire, c'est la tuche : quel hasard, quelle chance, a eu Freud - puisque c'est de la bonne fortune - de rencontrer l'homme aux loups, qui lui a permis de repenser toute la question du statut de la remémoration, de ce qu'il appelle l'héritage phylogénétique, toutes ces questions là sont dans l'homme aux loups et grâce a l'homme aux loups.

C'est-à-dire que ce qui arrive d' une façon globale, arrive un par un dans notre cabinet. Chaque patient qui vient est un patient qui est en proie à la crise que la modernité inflige. Donc la crise de l'histoire n'est pas qu'une crise globale, c'est une crise que chacun traverse.

Or, la psychanalyse va se réinventer en se confrontant toujours à ses limites. Mais j'entends limite au sens mathématique du terme, au sens du champ de définition. Nous devons approcher ce point limite, qui peut être temporel - problème de la fin de l'analyse -, qui peut être de structure - les psychoses, les nouvelles formes de la clinique, le problème de l'enfance, les problèmes psychosomatiques, le statut de la psychanalyse dans le champ de la médecine (par exemple Catherine Mathelin a un travail très intéressant sur la néonatalogie, où la technique fait qu'aujourd'hui on peut presque faire vivre ou survivre un bébé dans des conditions jusque là impensables, avec les enjeux éthiques complètement inédits que ça peut poser) -.

A EA, nous avons la chance d'avoir des gens qui, à leur manière, chacun, que ce soit dans leur cabinet ou ailleurs, se confrontent à ces questions-là, auxquelles nous avons toujours été sensibles, et ne les méconnaissent pas. C'est la seule chance pour que la psychanalyse puisse se survivre.

C'est-à-dire, pour reprendre l'exemple de l'exposé qu'avait fait Dominique, cette responsabilité du maintien d'une ouverture, le paradoxe c'est qu'elle incombe à la psychanalyse, qu'elle nous incombe.

Quand Lacan donnait comme définition de la psychanalyse " le traitement qu'on attend d'un psychanalyste ", ça n'est pas une boutade, c'est la définition la plus sérieuse de la psychanalyse qui n'ait été jamais donnée.

C'est comment chaque psychanalyste est responsable, chaque psychanalyste est en dette vis-à-vis du geste inaugural de Freud, c'est à lui, dans chaque cure, de poser l'hypothèse de l'inconscient.

L'inconscient n'existe pas si chaque analyste ne le fait pas exister dans la séance. Et c'est parce qu' il le fait exister dans la séance que ça peut se maintenir dans la culture.

Il y a un tournant décisif chez Lacan, c'est la deuxième guerre mondiale et la shoah.

Quand Joël Birman a fait son exposé, il montrait qu'il y a deux théories du père chez Freud. Et les deux textes sur lesquels il s'appuyait, l'un était antérieur a la première guerre mondiale, et l'autre postérieur.

Je crois que si on ne tient pas compte de l'effet qu'a eu pour Freud, et pour toute la culture occidentale, la première guerre mondiale, qui a été historiquement la première guerre où a disparu le rapport au corps de l'autre, c'est-à-dire, ou l'autre avec qui je me bats, je ne lui flanque pas une baïonnette ou un sabre dans le ventre, je le tire au canon à 80 km de distance, c'est-à-dire que le corps humain, à partir de la première guerre mondiale, ça devient de la chaire a canon, c'est du pur déchet, du pur objet.

Changement de cassette

Il y a un pessimisme chez Freud. C'est un pessimisme encore assez gai. Et il y a un pessimisme chez Lacan, et un rapport au tragique qui ne peut pas être le même qu'avant la shoah, avant la deuxième guerre mondiale. Pourquoi Lacan ouvre la problématique du lien entre l'institution et la psychanalyse que Freud n'avait pas ouverte (pour Freud ce n'était pas un problème) ?

Parce qu'à partir de la deuxième guerre mondiale, il y a un soupçon sur tous les regroupements humains. Aujourd'hui nous avons à gérer ça dans tous les groupes. Parce que nous savons ce que peut faire un regroupement humain. Jamais, autrement que sous le nazisme, nous n'avons pu voir à quel point il y avait une possibilité d'horreur inimaginable, impensable, dans le regroupement d'humains entre eux à l'ère de la science.

Puisque vous parliez des mouvements gays, de l'hétérosexualité, etc., j'ai écrit un petit livre sur Lacan, qui a été traduit à Alianza Editorial, qu'Ignacio a fait traduire, et le fil que j'avais pris c'est la question du père chez Lacan, car c'est une question que Lacan mène jusqu'à sa dissolution. La différence des sexes est-elle seulement articulée à la fonction du père ou faut-il la penser en fonction du réel, c'est à dire, se référer à la question de l'objet.

Sur la fin de son enseignement, Lacan a ouvert des voies extrêmement riches. Guy Lérès disait que pour ce qui est la deuxième partie de l'enseignement de Lacan, ce qui nous manque c'est l'après-coup. Le premier temps de l'enseignement de Lacan, nous pouvons le lire parce que nous avons l'après-coup du deuxième temps. Mais pour le deuxième temps, l'après-coup, c'est à nous qu'il incombe de le produire. Et il y a une puissance théorique dans l'enseignement de Lacan qui nous permet de penser la modernité, mais c'est à nous qu'il incombe, effectivement, d'être à la hauteur de ce qu'il nous a légué, et à la hauteur des enjeux de cette modernité.

Or, dès le premier texte de Lacan contemporain du début de son enseignement, le texte inaugural du rapport de Rome, il y a quelque chose qu'on ne relève pas suffisamment souvent, c'est que Lacan propose une sémiologie, un découpage clinique structural. Il dit, d'un côté, on a les névroses, ensuite il y a les psychoses, la perversion, et puis il y a une autre catégorie, ceux dont la subjectivité s'objective dans le tissu social. Ceux dont l'existence est tissée par le social.

Alors 10 ans après, même plus, 20 ans après, dans un séminaire " les non dupes errent ", Lacan parle - vous voyez, c'est une question qui revient, qui est là en filigrane, c'est celle qui est la nôtre aujourd'hui, parce que c'est celle qui se pose dans toute clinique, tant dans celle des psychoses que dans celle des névroses, aujourd'hui - Lacan parle du " nommé à  ". Il y a des gens - alors il parle de forclusion - il y a des gens pour qui ça ne fonctionne pas la question du nom du père, et il dit, ils sont nommés à, et là, c'est le social qui va tisser leur existence. Ça c'est un objet de la modernité, ce n'était pas apparent du tout à l'époque de Freud. Ce type de questions cliniques ne se posait pas à l'époque de Freud.

Et aujourd'hui c'est une des vraies questions de la modernité, c'est à dire, la façon dont le social, le capitalisme, ne garantit plus la dimension d'instances tierces - et là vous pouvez mettre ce que vous voulez : le nom du père, la statut de la vérité, etc.- ne garantit plus la puissance subjective du sujet dans la modernité.

Toutes ces questions vont se poser et nous devons être sur la brèche des questions cliniques, parce que c'est celles-là qui sont le défi au cabinet de chaque analyste.

Ignacio Gárate-Martínez : cette question qui est dite très clairement, dans l'aspect du rapport au social et la modernité, se retrouve dans la clinique, pas dite, évidement, avec le concept.

Par exemple, un patient qui est depuis très longtemps chez moi et qui dit très clairement, comme ça, dans sa vie a lui - ce n'est pas un intellectuel du tout - " j'ai bâti mes entreprises, j'ai une femme, j'ai des enfants, j'ai une belle maison, mais avec tout ça ma vie n'a pas de sens ". Alors il se pose des questions sur la religion, sur des groupes religieux. A un moment il dit, " je me suis acheté le catéchisme ", comme s'il y avait quelque chose d'important pour lui avant le terme de son parcours qui pourrait remplacer cette position dans laquelle il s'agit de vivre comme tout le monde sans jamais prendre conscience de la position subjective.

Michel Sauval : Cet effet, je ne sais pas si on peut l'appeler comme ca, mais cet effet de disparition de la responsabilité subjective, cette inscription sociale qui implique un " je ne suis pas responsable "...

Alain Vanier : C'est la position de la belle âme, dont Lacan dit que c'est la position du sujet moderne.

Dominique Inarra : le premier temps de la cure c'est de responsabiliser le patient, parce que l'analysant doit être un sujet responsable. Tant que cette responsabilité n'est pas établie l'analyse ne peut pas commencer.

 

Psychanalyse et droits humains

Michel Sauval : Une des questions qui a été posé aux EGP, qui fait à l'histoire des EGP, c'est l'affaire Lobo.

En Amérique du sud, nous n'avons pas vécu de si près la guerre mondiale, mais nous avons vécu quelque chose d'aussi terrible, comme ce fut le cas des dictatures, de la répression, la disparition et la torture.....

Alain Vanier : ... mais les dictatures d'Amérique du sud ne sont pas toutes sans rapport avec les effets de la deuxième guerre mondiale.....

Michel Sauval : ... mais c'est par ce coté là que nous l'avons vécu ....

Alain Vanier : ... c'est vrai...

Michel Sauval : Nous n'avons pas eu les champs de concentration d'Auchwitz, mais les centres de disparition, de tortures n'ont rien à envier en termes de barbarie.

Par rapport à cela s'est établi un discours qu'on pourrait appeler "le discours des droits humains", qui d'un côté expresse la réaction contre cette barbarie, la lutte pour les libertés, mais aussi expresse, politiquement, l'assimilation par les courants politique qui, sous le nouveau masque de la démocratie, continuent à gouverner au service des mêmes intérêts à qui servaient les dictatures.

En fait, le discours des droits humains, est un discours, aujourd'hui, intégré à l'appareil de l'Etat, à l'establishment. Nous avons, par exemple, en Argentine, comme ministre, la mère d'un " desaparecido ", ce qui ne fait pas obstacle à l'impunité dont bénéficient tous ceux qui ont participer a la répression pendant la dictature.

Enfin, je ne veux pas poser une discussion politique à ce niveau.
Je veux simplement souligner que ce discours est un discours politique, et un discours intégré a l'establishment.
Cela pour vous poser la question sur les propositions qui, tant aux EGP - c'est, par exemple, la proposition du groupe " pro-ética ", et de plusieurs autres intervenants -, comme ailleurs, se font, dans le sens de soutenir une relation entre la psychanalyse et ce discours des droits humains, c'est à dire, un nouveau "humanisme" …

Dominique Inarra :  ….C'est ce qu'il y a de plus terrible

Michel Sauval : …ce qui, d'une façon ou d'une autre implique une transformation de la psychanalyse en pastoral.

Ignacio Gárate-Martínez : Il faut prendre en compte ce que dit Claude, la psychanalyse ne peut pas remplacer le politique.

Alain Vanier : Il y a un problème.

En France, on l'a très bien vu avec le débat qui a eu lieu, parmi les psychanalystes, concernant la question de l'homosexualité : la possibilité d'adoption, les mariages d'homosexuels, etc.

Les psychanalystes ont pris des positions dans la presse. On s'est aperçu qu'il prenait les positions les plus idiotes qui soient.. Soit radicalement " pour ", sans aucune autre question, parce que, au nom de l'égalité des droits, tout le monde a le droit d'avoir un chien, une voiture, alors pourquoi pas un enfant ? Ou alors des positions tout à fait réactionnaires ou les psychanalystes soutenaient un discours ultra conservateur au nom du père.

Il est vrai qu'il y a un déficit du politique, mais je pense que le problème pour la psychanalyse, provient d'un déficit de l'éthique. En abolissant les valeurs traditionnelles - qui n'étaient pas le symbolique, mais qui étaient des représentants de la fonction symbolique - ce que le discours de la science a créé, au fond, c'est un déficit du point vue d'une éthique du désir. Face au désir qui traverse chacun, nous ne savons plus ce qu'il convient de faire : est-ce que je dois tromper ma femme ?, Est-ce que je dois aller vers la femme que je désire le plus et laisser celle avec qui je vis depuis des années ?, Est-ce que je dois tuer mon prochain ou le préserver ?, etc.

Voilà le genre de problème que se posent les gens qui arrivent aujourd'hui d'une façon massive. Ce sont des gens qui sont en déficit de repères avec lesquels conduire leurs vies.

Est-ce que la psychanalyse doit se précipiter à ce point-là pour donner une réponse qu'elle ne pensait pas ? Si elle le fait, elle est une psychothérapie, au mieux, et au pire, une religion; ça, c'est l'enjeu véritable.

Mannoni avait un mot, elle parlait d'une "politique de la psychanalyse".
Notre question n'est pas une question politique au sens global du terme. Il faut que nous acceptions cette castration-là, cette limite. Nous n'avons pas de réponse au malaise dans la civilisation, si ce n'est que la psychanalyse en constitue une, en tant que praxis, que méthode, mais n'en est plus une quand elle alimente un autre discours.

Le malaise s'est transformé, a muté, mais nous n'avons pas la solution au malaise.

Par contre nous sommes responsables d'une politique de la psychanalyse, et cette politique n'est pas sans conséquences. Lacan en donne la formule, d'une façon très judicieuse, quand il écrit les quatre discours. Il fournit les moyens d'un repérage, pour la psychanalyse, dans son articulation aux autres discours.

C'est-à-dire, il propose quelque chose d'assez ahurissant, et même qui peut paraître un forçage quasi mégalomaniaque pour la psychanalyse, pour penser que tous les liens sociaux se résument à quatre types de liens sociaux, trois qui sont les liens sociaux courants, plus un qui est le discours psychanalytique, qui non seulement s'inscrit à parité avec les trois autres types de liens, mais en même temps, dit Lacan, est celui qui permet d'écrire les autres. La politique de la psychanalyse et la façon dont la psychanalyse peut penser ou intervenir dans le champ du politique, au sens du social, c'est à partir de la manière dont elle offre la possibilité d'écrire quelque chose des autres discours.

Comment Lacan a interpellé toujours le champ culturel ?

Lacan a constamment pratiqué une politique de détournement - c'est la formule que donnent Lacoue-Labarthe et Nancy - c'est-à-dire, là où il y a quelque chose qui est produit comme une pensée dans le social, dans la culture introduire, subvertir, interroger cette pensée, avec l'hypothèse de l'inconscient, et, en retour aussi, penser l'inconscient avec cette notion.

Par exemple, comment penser l'intersubjectivité, le fait que le regard fige l'autre en objet, le fait que le regard de l'autre soit l'enfer, que l'enfer c'est les autres, tout le débat de l'existentialisme Sartrien des débuts des années 50 avec l'hypothèse de l'inconscient ? C'est tout ce que Lacan amène avec sa lecture de l'intersubjectivité, et petit à petit il bouleverse tout, jusqu'à ce que l'idée même d'intersubjectivité devienne caduque.

Comment Lacan interprète les droits de l'homme ? Avec Sade.

Il y a un commentaire de Lacan des droits de l'homme, ça s'appelle " Kant avec Sade ". Parce que " La philosophie dans le boudoir ", où figure " Français, encore un effort si vous voulez devenir républicain ", c'est une interprétation, une pratique conséquente qu'on peut tirer du discours des droits de l'homme.

Que les psychanalystes militent pour les droits de l'homme, pour la démocratie, en pensant que c'est une condition sociale ou politique pour qu'il puisse y avoir de la psychanalyse dans une société, pourquoi pas ? Puisque au fond, on sait bien que lorsqu'il y a une dictature, la psychanalyse est généralement maltraitée et qu'elle devient impossible. A ce niveau-là pourquoi pas ? À condition de ne pas oublier que leur voie est celle du détour, du biais qui ne vise que l'inconscient.

Mais quand les psychanalystes pensent penser le politique en tant que psychanalystes, hors de la psychanalyse, mais autorisés d'un titre de psychanalyste, ce qui est une autre place d'où parler, ils oublient que chaque fois qu'ils parlent de politique, ils sont dans le refoulement de l'inconscient, qui est une condition du politique, au moins jusqu'à présent.

Par exemple, aujourd'hui, comme question, comment penser le phénomène de la globalisation, c' est-à-dire, la généralisation du capitalisme, comment le penser avec ce que Lacan proposait à Milan, avec le discours du capitaliste. C'est très intéressant ce qu'il proposait a Milan ....

Michel Sauval :...ce circuit qui tourne en rond ....

Alain Vanier : ... c'est ça, ça tourne toujours, comme ca, à l'infini. La société moderne produit des objets pour boucher le trou, la béance du sujet, cette division, en produit à l'envie, mais cela coupe le sujet de tout rapport au savoir ou à la vérité. Cela nous dit quelque chose sur la manière dont nous allons pouvoir recevoir, un par un, les patients.

Lacan a une formule ou il dit "le bon politique, c'est la psychanalyse".

Il faut cette modestie du un par un, et puis, ensuite, assumer la responsabilité que nous avons dans chaque cure, puisque la psychanalyse c'est le traitement qu'on attend d'un psychanalyste.

C'est ça qui peut avoir des conséquences politiques.

Mais que nous nous rallions sous une bannière ou une autre, pourquoi pas?, Nous sommes aussi des citoyens, nous sommes aussi divisés, nous votons.
Mais ne prétendons pas que lorsque nous votons, c'est au titre de psychanalyste que nous mettons un bulletin dans l'urne.

C'est le patient qui nous fait psychanalyste. Sortis de la séance, sommes-nous psychanalystes ? Ça n'est pas un être, une essence.

Ignacio Gárate-Martínez : A coté des droits humains on a immédiatement inventé le droit d'ingérence. Dominique Inarra parlait tout à l'heure de responsabilité. La responsabilité ce n'est pas un droit. Serait-elle une obligation? Ce serait toujours du coté du droit.

Moi je crois qu'en psychanalyse il y aurait une relation structurelle entre un devoir, qui est, " je t'interdis le mépris " - au sens littéral du terme, c'est a dire de mal peser le prix de quelque chose, c'est ça le mépris - et de l'autre, de dire que la responsabilité n'est ni droit ni devoir mais condition de possibilité. C'est à ce moment là que, par exemple, la psychanalyse peut produire un discours, si elle veut, si cela se produit dans la clinique, entre droit et humain

Parce que, que vient dire un patient ? Dans une cure il vient réclamer son droit humain

Et que lui répond le psychanalyste ? La condition de possibilité du droit humain c'est que tu abandonnes le bénéfice de la maladie au profit de la responsabilité.

Alain Vanier : La dissolution du politique n'est pas une mauvaise chose. A mon avis, au contraire.

Ce que nous vivons aujourd'hui, pour aller dans le sens de ce que disait Dominique, c'est la disparition d'une certaine forme du politique qui a été depuis deux siècles.

C'est pour cela que ce n'est pas la fin de l'histoire, mais la fin d'un certain régime de penser le politique sous les grands termes de la philosophie de l'histoire, c'est-à-dire, ce qui a été inauguré avec Hegel et s'est prolongé avec Marx, etc.

Or, je crois que ce que Lacan nous permet c'est d'interpréter ce mouvement-là comme une protestation de la subjectivité face à l'avancée du discours de la science. Or, le problème de cette protestation de la subjectivité, dont le communisme stalinien et le nazisme hitlérien ont donné la mesure, c'est qu'elle s'est toujours fait sur le mode de la belle âme. C'est pour cela que Lacan disait que la belle âme était la position du sujet moderne.

Et cette manière de penser les choses, ça a commencé avec le romantisme allemand - qui est le premier à avoir poser l'hypothèse de quelque chose de l'ordre de l'inconscient - qui est la source commune du nazisme et de la psychanalyse. C'est une des sources de Freud, mais c'est aussi une des sources du nazisme, et c'est une chose que nous devons savoir.

Alors, comment peut-il y avoir une protestation de la subjectivité, face à l'avancé e du discours de la science, qui ne soit pas celle de la belle âme, c'est-à-dire, qui ne soit pas en position de dénoncer chez l'autre ce qui ne va pas, mais qui soit dans une position de responsabilité ?

En quoi la protestation participe de l'équilibre des autres, en quoi, ma revendication, en tant qu'ouvrier, femme, militant, etc., etc. ?

Cette ancienne manière de faire du politique n'a qu'une seule fonction, c'est d'installer un peu mieux ce qui est en place.

J'avais 20 ans en 1968 et j'ai participé aux événements. Et j'ai un fils de 18 ans qui est très gauchiste et subversif, mais son gauchisme m'étonne beaucoup quand je parle avec lui.

Pour lui, le produit de 68, les faits de 68 - ce moment du politique dont nous avons tous la nostalgie dans notre génération, et c'est pour cela que nous disons tant de conneries sur le politique - pour lui, les faits 68 ç'a été juste de permettre un ajustement idéologique à la consommation capitaliste. Grâce à 68, dit-il, les gens sont moins attachés à leurs lieux, donc ça a créé une plus grande mobilité du salariat, ça a favorisé le développement de tous les systèmes de publicité, le cynisme du capitalisme n'a jamais été aussi grand - parce que, au fond, la publicité moderne a été inventée par les situationnistes, c'était le travail des situationnistes sur les grèves des Asturies, la pratique du détournement, une certaine production du slogan, etc. - cette déterritorialisation a été un effet de 68. Nous avons accéléré, nous avons permis une adaptation au capitalisme moderne, libéral, celui qui n'a plus à rien à faire des valeurs traditionnelles.

La vieille société française - par exemple gaulliste, bourgeoise, terrienne, etc. - ne permettait pas un déplacement d'une certaine légitimité de l'argent, et 68 en a été l'occasion, un peu comme la révolution française.

Ce que nous avons, s'il y a une question qui touche au politique, c'est à inventer un nouveau mode du politique. Et justement, s'il y a une ouverture possible aujourd'hui c'est parce que nous ne sommes plus encombrés par tous ces préjugés et ces manières de faire du politique.

Le psychanalyste peut, soit se regrouper avec ceux qui défendent les bêtes à fourrures, les droits de l'homme, les droits des sans terre, bref tout ce qui constitue le mode du combat politique aujourd'hui, la pratique du lobbying, soit elle peut penser autrement, un autre mode du discours. C'est une alternative sans exclusive. Mais pour l'instant, quand un psychanalyste parle dans le public ou dans la presse, on n'a pas l'impression de voir quelque chose de bien nouveau

Ignacio Gárate-Martínez : Vous savez, Ana Belén, que vous connaissez peut-être, a fait une très jolie chanson - que le discours d'Alain Vanier nous rappelait - qui n'est pas connue en France, ou elle dit " moi aussi je suis née en 53 " - " yo también nací en el 53 "- et elle dit, à un moment de la chanson - je l'ai repris dans une conférence sur l'envie, parce que je me retrouvais totalement - elle dit " no me pesa lo vivido ", " je ne regrette pas ce que j'ai vécu ", " me mata la estupidez ", " la stupidité me tue ", " de encontrar un fin de siglo ", " de trouver une fin de siècle ", " distinto del que soñé  ", " différent de celui que j'ai rêvé  ". S'il y a quelque chose dans la pratique du politique, quand elle n'inclut pas la dimension, et du manque, et de la tyche - de la rencontre inattendue, de la bonne fortune - c'est qu'elle ignore ce qui fait retour dans le désir politique.

Il y a 68, et immédiatement après, la génération suivante, c'est le mouvement "punk".

Je crois que dans la position psychanalytique - sans que cela constitue un luxe ; ce n'est pas question de dire "nous n'en sommes pas là" ; si, si nous y sommes ; nous sommes nés en telle année, en telle autre, on a participé de telle ou telle autre illusion - lorsque nous sommes en position psychanalytique - et Alain avait entièrement raison de rappeler que nous ne sommes en position psychanalytique que lorsque nous y sommes requis par la demande d'un patient - c'est de dire " ce n'est pas ça ", ou pour reprendre la formule que rappelait Octave, "ça n'empêche pas d'exister".

Alain Vanier : Voilà. Justement.

Comment pourrions-nous tenir un discours dans le social à partir de la pratique analytique que nous avons ? Comment pourrions-nous tenir un discours dans le social qui inclut ce que nous faisons dans la pratique de tous les jours ?

Que nous ne soyons pas des conseilleurs, que nous ne promettions rien… C'est-à-dire, comment pouvoir tenir un discours qui ait une incidence politique, sans idéalisation. Comment est-ce pensable que les psychanalystes reprennent la formule de Lacan de l'écart maximum entre l'idéal et l'objet comme position pouvant donner la différence absolue, et ensuite les psychanalystes soient constamment dans une position où ils sont en train de refaire de l'idéal?

 

Psychanalyse et profession

Michel Sauval : Justement là, il y a peut-être une modification dans le social moderne : actuellement il ne s'agit plus d'idéaux, mais de l'argent tout court - pour reprendre ce qui fait au nom du père et de l'objet - même au prix de la complète professionnalisation de la psychanalyse, par la voie d'une prétendue législation de la pratique analytique.

Alain Vanier : La formule de l'état moderne libéral c'est " nous avons les moyens pour vous faire parler ", les moyens au sens de l'argent. C'est là que l'argent intervient. S'il y a un appel au législateur, je crois que c'est un symptôme, parce qu'il n'y a plus de lieu garanti de la parole. Et Freud et Walter Benjamin disent bien qu'après la première guerre mondiale, et ça c'est radicalisé après la deuxième guerre mondiale, il y a quelque chose du déclin de l'expérience, de la parole, un déclin total de la valeur de la parole dans la société.

Dominique Inarra : C'est un affaiblissement de la fonction du dire qui témoigne d'une problématique de la fonction d'identité. C'est pour cela que les jeunes d'aujourd'hui sont appelés a avoir recours à des marqueurs d'identité, qui sont, par exemple, Adidas, etc. Ils ont besoin de se soutenir dans ce type de marqueur, qui sont faibles, pour pouvoir parvenir à s'identifier.

Ignacio Gárate-Martínez : Nous sommes en train de répondre, petit a petit, sur cette question du statut. Mais, pour donner un petit élément, une discussion qu'on avait, encore a propos du texte d'Inarra, mais aussi de Guy Lerés, parce qu'ils ont parlé de la pulsion, j'ai essayé d'expliquer a Alain, dans une conversation privée, ce qu'est en espagnol, la palabra " anhelo ". C'est compliqué. Et je lui disais que c'est très drôle, parce que dans les exercices de saint Ignace de Loyola, ont parle de " oración por anhélitos ", c'est le dernier degré d'une quête, d'une ascension, que je ne discute pas, qui fait partie de l'expérience mystique, on n'a rien a dire du côté du jugement. Inarra et Lerés parlaient de cette ouverture - fermeture, de cette pulsation, de ce " parpadeo ", qu'on a essayé de traduire - moi j'avais proposé " parpadeo " - et il me semble - peut être qu'on pourrait le proposer au gouvernement argentin - qu'il ne s'agit pas de transformer un but ultime en grimace immédiate. Peut être qu'on peut penser qu'à la Pentecôte, les apôtres parlaient " en langue " - vous avez sûrement entendu cette expression : " en Pentecôte ils sont sortis et ils parlaient en langue " - tout le monde les comprenait quelle que fut leur langue. Et maintenant il y a un mouvement intégriste qui s'appelle " les charismatiques ", qui parlent " en langue ", mais ils parlent en langue tout de suite, de manière hystérique, sans la dimension du vide de l'Autre. Il me semble que si on donne un statut de la psychanalyse, en reprenant les termes d'Alain " j'ai les moyens de vous faites parler ", on va vouloir que les gens qui n'ont plus le droit de vivre, puissent faire semblant de parler "en langue" tout de suite, et qu'ils aillent dans la rue, por Charcas, y Cabello, y Corrientes, en faisant " hu, hu, hu ".

Ils sont psychanalysés : vous voyez, ils parlent "en langue" parce qu'il y a un statut du psychanalyste.

Alain Vanier : C'est comme si l'état pouvait garantir le fait que la psychanalyse, à mon avis, soit devenue le dernier lieu de la parole possible, le dernier lieu d'une expérience de la parole et du langage.

C'est vrai qu'elle l'est aujourd'hui. C'est pour ça que la bonne politique pour la psychanalyse c'est déjà qu'elle puisse survivre. C'est ça notre responsabilité, fondamentalement. Et si elle survit, il me semble que la position d'analyste, ça n'est ni une adhésion aux idéaux sociaux ou à l'organisation sociale, ni un dire non, le refus de l'entêtement. C'est une position décentrée qui peut-être peut faire entendre quelque chose au-delà, parce qu'elle permet, parfois, qu'il y ait une parole qui se produise, non pas à partir d'une identification sociale - à partir desquelles nous ne cessons pas de parler, on ne cesse pas de s'y croire : je parle à partir de ma place d'employé dans l'administration, à partir du fait que je suis médecin, etc, toutes ces identifications sociales qui déterminent les échanges de parole - nous avons les moyens de vous faire parler - mais quelque chose d'une parole qui s'appuie sur un point d'identification évidé, sur un point de désidentité - la désidentification dont parlait Octave Mannoni. On voit bien comment la difficulté c'est que la modernité subvertit les identités, les abrase - les revendications de souveraineté, les revendications culturelles, etc. en témoignent - mais, en même temps, ça n'est pas du tout pour aboutir au point de désidentité qui est celui de la psychanalyse (...), c'est tout a fait autre chose.

Ignacio Gárate-Martínez : L'analyste est inexpert, et le statut étatique du psychanalyste en ferait un expert. Nous sommes des inexperts, c'est pourquoi, Alain le disait au début de cette causerie, on ne peut que réinventer la cure avec chaque nouveau patient parce qu'on est inexpert.

Alain Vanier : La psychanalyse c'est dire à quelqu'un " dites n'importe quoi ", c'est bien ça la règle fondamentale, " dites n'importe quoi, il y a quelque chose qui va se dire dans ce que vous dites qui est, véritablement, le lieu propre…  "

Michel Sauval : ... tant que vous serez responsable de ce que vous dites.

Alain Vanier : Justement

Michel Sauval : Bon, merci beaucoup pour le temps que vous nous avez prêter. Ce dialogue a été très intéressant et je suis sur que les lecteurs d'Acheronta sauront l'apprécier.

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Revista de Psicoanálisis y Cultura
Número 12 - Diciembre 2000
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