Acheronta  - Revista de Psicoanálisis y Cultura
Jacques Lacan s'analysant (1)
Jean Allouch

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Un jour, quelqu’un, dans son public,
apostrophait Lacan
– Vous aimez les garçons !
Réponse : – I like, ou I love ?

Ce serait une peu courtoise façon que d’accueillir Jorge Baños Orellana à Paris sans tenir aucun compte de son second livre, El escritorio de Lacan, paru en août 1999 en Argentine 2. Avoir publié et discuter aujourd’hui avec quelque retard son premier, El idioma de los lacanianos 3, de mars 1995, n’est certes pas une raison pour réitérer pareil décalage. D’autant que Jorge Baños, comme l’on dit, « a de la suite dans les idées ».

La publication, par l’École lacanienne, d’une traduction en français d’El idioma de los lacanianos relève, comme toute publication, d’une politique de la théorie 4. Dans les tensions qui, sur ce registre, traversent le champ freudien, Baños, non sans prudence et délicatesse, arpente les marges, entre autres celles qu’il dessine lui-même ; il n’en met pas moins pour autant les pieds dans les plats. Est-ce en cela que ses interventions importent ? Pas seulement. Baños manifeste une liberté vis-à-vis de ce qu’il faut bien appeler le surmoi lacanien qui reste une chose rare 5. Cette liberté, cette manière de ne pas coller à un sens lacanien, notamment à la façon dont Lacan indiquait qu’il devait être lu (heureusement, là-dessus aussi, Lacan a varié) est devenue, récemment, sensiblement moins exceptionnelle. On n’en veut pour preuve que le livre de François Balmès, Ce que Lacan dit de l’être 6, à inscrire dans la même veine en train de se creuser.

El escritorio soulève des questions qui se posent et que nous paraissons bien, à l’école lacanienne, ignorer ; ce livre répond aussi aux attaques dont font l’objet certains textes de Lacan, des attaques vives, frontales, argumentées, et que nous ne méconnaissons pas moins. Baños s’en occupe, et il a raison de le faire. On tentera ci-après une discussion critique d’une de ces attaques et de la réponse qu’y fit Baños, ceci devant s’avérer déboucher, d’une façon d’ailleurs complètement inattendue, sur un aperçu et un questionnement du lien de la propre psychanalyse de Jacques Lacan et des avatars historiques de la psychanalyse en France.

Lacan falsificateur

Il se trouve que, selon deux différentes voies, nous nous sommes trouvés confrontés, Baños et moi, à un même problème chez Lacan, problème pour lequel j’accepte volontiers le nom que lui donne Baños, à savoir celui de falsificaciones. S’agissant de ce dont traite notamment Baños, à savoir le cas dit de « l’homme aux cervelles fraîches », l’on peut discuter s’il s’agit bien de « falsifications ». En revanche, s’agissant de Marguerite Anzieu 7, au moins pour certaines modifications que Lacan apportait à son récit du cas, le fait est, dans son texte, explicite (il arrive aussi qu’il ne le soit pas). À vrai dire, tout lecteur de Lacan ayant affaire aux données cliniques incluses dans son frayage rencontrera régulièrement ce problème, qui donc aujourd’hui, se trouve monté en épingle à propos du désormais célèbre cas publié par Ernst Kris 8.

Ce cas, intempestivement dit de « L’homme aux cervelles fraîches » fut, lui aussi, porté par Lacan au paradigme. Il exemplifie, au moins chez les lacaniens, non pas seulement l’acting-out mais, plus précisément, son caractère réactionnel ; il montre la portée de l’acting-out comme réponse agie à un certain type d’interprétation mal à propos venant de l’analyste. Il constitue ainsi un pas important dans la fabrique par Lacan du couple acting-out/passage-à-l’acte, dont Lacan devait noter que sa reprise dans le Vocabulaire de la psychanalyse comportait (et transporte encore) rien de moins qu ’un contresens.

Réserves

« L’homme aux cervelles fraîches ». On peut s’étonner que personne ne discute jamais cette étrange nomination. Étrange tout d’abord en ceci qu’elle nous présente, comme sur un plateau, le concept d’un homme ayant plusieurs cervelles, toutes fraîches qui plus est. Qu’il s’agisse d’un nom de fantasme ne fait guère de doute. Il faudrait pister l’historique de ce nom, localiser précisément son surgissement chez les élèves de Lacan, repérer selon quelles voies il a fini par passer dans « la langue des lacaniens » (Baños). On serait peut-être ainsi amené à pouvoir identifier les cadavres encore tout chauds desquels ces cervelles auraient été extraites, à se demander qui était le boucher, l’assassin ou bien le prêtre qui, rituellement, aurait occis les corps.

Suivant une indication clinique que l’on peut trouver dans Marguerite, ou l’Aimée de Lacan, il apparaît que tant que persiste, dans l’usage, un nom de cas aussi manifestement porteur d’un fantasme, le cas ne peut prétendre avoir livré ce qu’il est susceptible d’enseigner ; réciproquement, la validité de tout ce qui peut être dit de lui hors cette mise en question peut faire l’objet d’un légitime soupçon ; de même les enseignements théoriques qu’on prétend en tirer. C’est pourtant à l’intérieur de ces limites que nous allons devoir opérer, en attendant que quelqu’un prenne enfin à bras le corps l’étude de ce cas.

Récit

Il s’est donc trouvé, en 1991, une profesora titulaire de la chaire de « Psychanalyse, Psychologie du Moi » de la Faculté de psychologie de Buenos Aires pour publier un article consacré à répertorier et à dénoncer chacune et (presque) toutes les falsifications, les « distorsions » dites en outre « tendancieuses », que Lacan fit subir au cas 9. Baños entérine comme valides les remarques de la profesora Adela Leibovich de Duarte et, lui faisant confiance, nous l’admettons aussi. Ainsi Lacan (dans certaines de ses versions du cas) a-t-il situé cette analyse à New York au lieu de Londres, inventé que Kris s’était levé, en cours de séance, pour prendre un livre dans sa bibliothèque, inventé qu’après l’intervention de Kris lui démontrant, lecture faite de ce livre, qu’il n’était pas plagiaire, le patient ne dit plus un mot jusqu’à la fin des cinquante minutes réglementaires, que des restaurants, près du consultoire de Kris étaient étrangers, qu’on y servait des plats épicés (souvenons-nous de son jeu de mot, bien postérieur, sur « ce qu’on dit ment ») et, fait peut-être plus grave (tout au moins à première vue et si l’ on en juge du point de vue de la théorie de l’acting-out qui se construit avec ce cas), également inventé que le patient se serait précipité à manger des cervelles fraîches juste après cette intervention de Kris (alors qu’il s ’en délectait régulièrement depuis quelque temps déjà).

Chose non moins curieuse, en même temps que Lacan déployait cette prolixité imaginative méconnue de ses interlocuteurs, il invitait ceux-ci à lire le texte de Kris où ils pouvaient trouver, comme Leibovich de Duarte en 1991, tout ce qu’il fallait pour corriger sa version du cas. Aucun ne le fit. Ceci indique déjà le degré d’hypnose où ils se trouvaient au regard d’une parole reçue comme magistrale. Ce degré n’a semble-t-il fait ensuite que croître chez les lacaniens postérieurs 10qui, eux, étant allés voir du côté de Kris, n’ont apparemment rien remarqué ou, pour le moins, n’en ont rien dit ou écrit publiquement. Or le résultat, tout de même embêtant, de cette abstention à infliger à Lacan une correction à la fois fraternelle et méritée, associé au fait qu’un jour ou l’autre cette correction devrait bien avoir lieu, fut que ladite correction se produisit d’ailleurs que du mouvement lacanien, provint de gens hostiles à Lacan. Le problème est ici qui dégaine le premier, ce qui donne un avantage peut-être décisif (il le serait si les affrontements d’écoles étaient formalisables selon le schéma du temps logique 11). Il ne reste donc plus aux lacaniens qu’à intervenir après l’attaque, à tenter de recoller les morceaux, de rendre raison de ces falsifications, ce à quoi, premier d’entre nous, s’est donc employé courageusement Baños.

Il le fait avec finesse, astuce, perspicacité, ce qui n’empêche pas sa conclusion d’être, à mon avis (si j’en juge par Marguerite et aussi par l’article de Lacan sur les sœurs Papin 12, où la fiction a encore un autre régime que ceux rencontrés dans la thèse de Lacan), rationnellement irrecevable. Autrement dit, le prix qu’il paye et nous propose de payer pour donner une validité aux falsifications de Lacan est exorbitant, beaucoup trop élevé par rapport à l’autre prix que nous devrons régler (car il nous faudra bien payer la double faute de Lacan et de ses auditeurs, puis de ses élèves). Ce prix pourrait consister à réenvisager la théorie de l’acting-out telle qu’établie par les falsifications du cas, à partir d’une rectification franche de ces falsifications (mais déjà chez Lacan, depuis ce moment où l’abord de l’acting-out était étayé sur le cas de Kris, l’acting-out allait subir un chamboulement qui devait le couper de l ’hallucination avec laquelle il était couplé : il ne s’agira plus, par la suite, d’un « équivalent, à un phénomène hallucinatoire de type délirant 13 »). Ou bien encore, et ce sera notre voie ici, ce prix pourrait consister à situer le problème que posent ces falsifications ailleurs que là où il semble se présenter.

Contexte d’école

Baños formule très clairement comment ce cas de Kris fut, qu’on permette le mot, un cas de crise, et même par deux fois. Comme bien d’autres en effet, au champ freudien (Freud inaugura cette pratique), ce cas fut publié pour trancher entre des positions d’écoles. Il s’agissait tout d’ abord de l’affrontement entre kleinisme et Ego Psychology annafreudienne. Telle est la raison, ou l’une des raisons pour laquelle Kris le publie, il le dit explicitement dans son texte 14 (Melitta Schmideberg étant la première analyste en un temps où elle n’avait pas encore rompu avec sa mère Mélanie Klein). Il s’agira ensuite de trancher entre l’Ego Psychology et la psychanalyse selon Lacan.

L’intervention de Leibovich de Duarte a donc pour ambition de contester la contestation de Kris par Lacan ; et Baños intervient, non pour récuser les faits mis en avant pour défendre l’Ego Psychology, mais pour établir selon d’autres coordonnées que celles invoquées par elle (à savoir, la référence à la réalité des faits), sinon la justesse, du moins la pertinence, au regard du cas, des falsifications opérées par Lacan.

Le tour de Baños

Comment Baños fait-il Lacan retomber sur ses pieds ? Il retourne le problème comme on le fait d’une crêpe, en demandant qu’on accorde à Lacan (à nous aussi du coup) un droit d’user de la falsification dans l’étude et le traitement d’un cas. Il fait valoir qu’une telle démarche peut avoir une valeur heuristique, qu ’il serait donc sot d’a priori l’interdire. Il raisonne en deux temps.

I Premier pas, il remarque que Leibovich de Duarte fait preuve d’une bien grande légèreté, pour ne pas dire d’un manque caractérisé de formation philosophique de base, pour contester Lacan au nom de la différence, pour elle non problématique, entre « ce qui est » et « ce qu’on dit qui est », comme si « ce qui est » était évident au point de déterminer univoquement et sans plus de difficulté, la validité de « ce qu’on dit qui est », comme si « ce qui est » pouvait être su hors la dimension de « ce qu’on dit qui est 15 ». Jusque-là, l’on peut parfaitement suivre Baños, noter avec lui que Kris lui aussi sans doute (bien que l’on ne sache pas comment 16), occupé par son conflit d’école, nous propose une « sélection tendancieuse 17 » des faits.

Pourtant, ce retour à l’envoyeur, de bonne guerre, ne résout rien au fond, ou plutôt, ce qui est décisif, dans la forme. Baños ne méconnaît pas que le problème n’est pas entre réalité et récit, ou pas seulement là, qu’il se tient aussi entre deux textes. Le problème que fait valoir Leibovich de Duarte se pose entre le récit de Kris et sa reprise par Lacan – le récit de Kris constituant, en outre, la seule source (si l’on néglige Melitta Schmideberg, citée par Kris) de celui de Lacan. Le problème est donc celui du non-usage, par Lacan, des guillemets. Et Baños déplie très bien les propres variations de Lacan que rend possible ce non-usage des guillemets, ceci au cours des sept occasions où Lacan mentionne le cas (cf. « Repères chronologiques », en fin de cette étude).

II Baños doit donc avoir recours à un argument supplémentaire, que sa première escarmouche avec Leibovich de Duarte ne faisait que préparer. Et c’est ici que je ne puis le suivre, même s’il trouve un appui dans Lacan. Car il fait plus que ça, il fait parler Lacan, réitérant peut-être en cela la manière de Lacan qui, déjà, avait fait parler Kris (il est vrai sous le couvert, abusivement invoqué, de le traduire ce qui ne fait que couvrir le procédé, d’un usage tout de même intempestif, venant d’un psychanalyste, qui consiste, à faire parler quelqu’un en prenant la parole à sa place 18). Baños fait donc dire ceci à Lacan, qui plus est en espagnol (et donc, à ne pas traduire ici, ou seulement en note), une langue que Lacan, à ma connaissance, ne parlait pas :

Si Kris no cuenta exactamente lo que adivino [on le voit, les cartes sont retournées] que ocurrió después de su intervención «  de superficie », eso no demuestra que tal cosa no haya sucedido, sino simplemente que Kris, apoltronado en su satisfacción, no tuvo la penetración suficiente como para percartarse de ello 19.

Je dois dire mon admiration pour ce tour de force théorique qui apparaît aussi, comme parfois chez Lacan, un tour de prestidigitation. Cette phrase qu’il fait donc dire à Lacan, est la leçon de technique que Baños reçoit de Lacan et dont il affirme 20, toujours avec autant d’audace, que Lacan entend nous la donner.

Énonciativement, la chose aurait, je crois, amusé Lacan, qui était quelqu’un de susceptible d’endosser comme étant de ses leçons la leçon que tel ou tel lui faisait lui donner. Il y a un horizon de l’enseignement de Lacan (zen, si l’on veut) où Lacan ne serait que ça, autrement dit n’aurait lui-même rien dit, rien enseigné, tout en laissant croire à qui le voulait, ou même tout en suggérant lui-même à l’ occasion qu’existait bien un enseignement de Lacan.

Discussion critique

Ainsi, selon cette leçon que reçoit Baños, le psychanalyste lacanien pourrait revendiquer la possibilité de déterminer la vérité d’un cas, à partir (comme le dirait cet analyste avec les mots de Baños), de « la credibilidad », de la crédibilité, que le cas « hace resonar en mi, que lo leo desde mi experiencia con los casos que tengo a mi haber », fait résonner en moi, depuis mon expérience d’autres cas similaires. Pour la discussion critique de cette proposition, je proposerai deux séries de remarques, la première série centrée sur le cas, l’autre sur les attenants, inadmissibles à mon avis, de cette leçon lacanienne.

I Concernant le cas, première remarque à elle seule suffisante à fonder mon désaccord : il n’y a pas la moindre preuve que les falsifications de Lacan soient vraies, fût-ce seulement au sens de Baños, autrement dit qu’elles aient cette valeur d’une vérité performative, quasi oraculaire, qu’elles aient cette « pénétration divinatoire 21 » que Baños leur impute.

D’ailleurs, comment ces falsifications seraient-elles vraies ? Plus loin dans l’ouvrage, Baños, faisant Lacan plus proche de W. James que de Freud, indique qu’il pourrait se trouver que désirer une vérité finisse par constituer cette vérité, par forger une réalité conforme à cette vérité. Il s’agit là d’une remarque de psychologue, pas si fine que ça ; mais admettons. Peut-être pareille opération eût-elle été envisageable si l’homme en question avait été en analyse chez Lacan. Et encore, comment distinguer ceci de la suggestion ? On dira : justement, parce que ça se réalise ! Mais, cette réalisation, ne serait-elle pas, au contraire, le comble de la suggestion, quelque chose comme l’acte sous hypnose qui avait tant frappé Freud à Nancy ?

Il faudrait aussi discuter les conditions de possibilité du caractère opérant d’un tel propos chamanique porté sur le cas. Souvenons-nous du bon mot de la pratique analytique de Lacan : « Mais vous êtes fichu », réponse à un sentiment avoué d’être fichu, qui loin d’enfoncer l’analysant dans son pathos, le réjouit aussitôt 22. Notons tout d’abord qu’il ne fonctionne que pour autant qu’il s’agit d’une réponse, et ensuite qu’il n’aurait pas chamboulé, comme il le fit, l’humeur noire de l’analysant jusqu’à le rendre joyeux, si celui-ci, par exemple, venait d’apprendre qu’il était atteint d’un cancer au pronostic vital limité, comme parlent nos bons docteurs. Tout indique qu’avec le patient de Kris les conditions ne sont pas réunies pour que le cas puisse valider dans les faits, puisse rendre vraies les falsifications de Lacan.

Deuxième remarque concernant le cas : la solution de Baños reste générale, elle ne rend compte d’aucune de ces falsifications (qui donc n’en seraient plus) dans sa teneur, dans sa singularité. Car il y a lieu, tout au moins selon Lacan, selon Freud aussi, de rendre compte des détails dans l’analyse d’un cas, faute de quoi l’analyste se comporterait comme ce philosophe qui, à la différence de l’ordinateur, disait Lacan, fournit toujours la même réponse, même quand on lui apporte des données différentes. L’analyse freudienne d’un rêve n’est rien, hors le déchiffrement de ses détails.

Mais là, Baños attend son critique au tournant. Il a prévu l’objection, ou plutôt, dans la logique de son argumentation, cette objection n’en est pas une. En effet, cohérent avec cette leçon qu’il recevait de Lacan concernant la parole oraculaire de l’analyste, il nous dit que tout ce qui concerne la documentation, la littéralité du cas « s’éclipse 23 ». On comprend mieux, ici, que, dans ses deux livres, le mathème lacanien, chose littérale s’il en est, soit contourné.

II Ainsi sommes-nous déjà entrés dans la seconde rubrique annoncée, celle des attenants non admissibles de ce sauvetage des falsifications de Lacan auquel se consacre Baños en faisant une vertu lacanienne des erreurs de Lacan. Il s’agit donc, premier d’entre eux, d’une liberté prise à l’endroit de la littéralité.

Le second, qu’il mentionne, est l’appel à l’expérience chez l’ analyste (ce à quoi Kris agréerait sans difficulté). Ce n’est pas seulement que Lacan, plus il avait d’expérience, plus il s’en gaussait, cette expérience n’étant que le fétiche de la notabilité ; c’est aussi qu’il avait raison de le faire. Les cervelles fraîches d’analystes ne sont en rien handicapées par rapport à celles, neurologiquement rétrécies qui sont généralement au pouvoir dans les Sociétés, Collèges, Associations et autres Instituts. Que vaut cette « assurance thérapeutique qu’acquiert progressivement tout analyste au cours de ses dix premières années de formation 24 » dont parle Kris  ? Elle ferait plutôt froid dans le dos. Mais surtout, le problème, pour la fonction analyste, n’est pas là, le problème dit par Lacan « résistance de l’analyste » concerne le fantasme avec lequel un sujet s’est embarqué dans une pratique de l’analyse : arrivé à un certain point de chaque analyse, celle-ci ne pourra se boucler (c’est une des conditions, certes pas la seule) que si ce fantasme, point trop prégnant, laisse à l’analyste une marge de manœuvre pour se laisser être l’objet petit a rebut du dire de l’analysant.

Et ceci nous amène au troisième trait, lui aussi parfaitement dit par Baños. Il mentionnait la « crédibilité » que donnerait l’analyste à ce que fait résonner en lui l’analysant. Ceci ne manque pas, là encore, de remettre en selle ce que propose Kris à la fin de son article et d’évoquer un certain usage que, régulièrement dans l’histoire de la psychanalyse, on propose, du contre-transfert. Dernièrement en France, Françoise Davoine et Jean-Max Gaudillère ont repris ce flambeau et ce n’ est donc pas un hasard si, chez eux aussi, on se trouve avoir affaire à des falsifications de cas.

La critique lacanienne du contre-transfert comportait une autre leçon. Cette résonance et, qui plus est, cette créance constituent précisément ce que son analyse doit permettre à l’analyste de laisser de côté. Cette résonance et cette croyance, c’est pour sa pomme ! Qu’il s’en débrouille ! L’important restant qu’il puisse, justement, ne pas les faire intervenir dans son positionnement dans le cas. Procéder autrement, n’est-ce pas retomber dans l’ornière de la compréhension ? On ne voit pas en effet comment appeler autrement ce jeu que nous décrit Baños entre résonance et croyance.

On le constate, Baños est un auteur rigoureux en ce sens qu’il nous donne les éléments permettant de déterminer jusqu’où le suivre et, au-delà de ce point, de le critiquer.

Un aperçu de l’analyse de Jacques Lacan

Cependant, concernant « l’homme aux cervelles fraîches », il a fait plus encore, ou plus exactement, il m’a fait plus encore en me permettant de commencer à entendre une phrase de Lacan à son propos (à propos de « l’homme aux cervelles fraîches », pas de Baños, mais on va le voir, ça n’est pas si simple). Baños amène et cite cette phrase d’une façon telle que l’on peut entrevoir, d’abord conjecturalement, qu’elle constituerait la pointe, l’avancée décisive de Lacan sur ce cas (mais, on le verra, pas seulement sur ce cas). Dans une sorte d’envolée lyrique et conclusive de la « Réponse au commentaire de Jean Hyppolite », Lacan écrit en effet ceci 25 :

Il semble accessoire de demander comment il va s’arranger avec les cervelles fraîches, les cervelles réelles, celles qu’on fait revenir au beurre noir, y étant recommandé un épluchage préalable de la pie-mère qui demande beaucoup de soin. Ce n’est pas là pourtant une question vaine, car supposez que ce soit pour les jeunes garçons qu’il se fût découvert le même goût, exigeant de non moindres raffinements, n’y aurait-il pas au fond le même malentendu ? Et cet acting-out, comme on dirait, ne serait-il pas tout aussi étranger au sujet ?

Voici donc les cervelles fraîches devenues (mais cette fois ouvertement, il ne s’agit pas d’une falsification) des jeunes garçons, préparés au beurre noir, après qu’on leur ait enlevé une enveloppe placentaire (la « pie mère » a-t-on traduit en espagnol 26, comme « la pie voleuse » !), et ajoutons, pour rassembler ici d’autres traits inventés par Lacan, servis chauds et condimentés dans un restaurant new yorkais. Comment « l’homme aux cervelles fraîches » va-t-il s’en débrouiller ? Va-t-il manger son Dasein posé là, dans son assiette ?

Leibovich de Duarte n’a pas compté cette cervelle-garçon au nombre des « distorsions tendancieuses » opérées par Lacan. Or là, pour le coup, la démarche décrite par Baños, la leçon qu’il recevait de Lacan (à la falsification près) serait opérante.

Baños a d’ailleurs repéré le problème puisqu’il prend soin de nous dire que tous les protagonistes (Schmideberg, Kris, Lacan, « l’homme aux cervelles fraîches ») ont pratiquement le même âge 27. Pourquoi ?, sinon parce qu’il a entrevu lui aussi que l’autre génération est celle des cervelles-garçons, que donc cet « homme aux cervelles fraîches » est un ogre – Baños, d’ailleurs, remarque qu’il était obèse.

Encouragés par la remarque de Lacan selon laquelle il aurait été un meilleur psychanalyste s’il avait davantage déliré (il ne disait pas : « si j’avais été délirant », nuance), nous allons suivre le fil de cette indication des cervelles-garçons, et disposer ainsi d’une nouvelle piste pour une autre lecture, ici seulement amorcée, des falsifications lacaniennes. Lacan invente ces cervelles-garçons ? Eh bien, mettons à son compte cette invention, et avec elle, toutes les « falsifications » ! Autrement dit, « L’homme aux cervelles fraîches », l’ogre, c’est Lacan, qui d’ailleurs nous signale son identification imaginaire à cet homme en le disant quelqu’un dont « le métier intellectuel » serait « quelque chose de très proche des préoccupations qui peuvent être les nôtres » 28. Lacan soupçonne-t-il qu’il s’agit d’un analysant en didactique, d’un collègue donc, d’un alter-ego ? On notera, à ce propos, l’équivoque de la phrase : « Voici donc un sujet [le patient de Kris] qu’il [Kris] a pris en position de second analyste 29 ». Grammaticalement, l’on peut parfaitement lire que le « second analyste » est le patient de Kris, que son analyse est donc didactique. D’ailleurs, hormis le fait que cette analyse soit didactique, comment, avec quelle compétence Kris aurait-il pu vérifier que son patient n’était pas plagiaire ?

Les cervelles fraîches-garçons également sont donc Lacan, le poinçon du fantasme ( a) indiquant justement que le sujet barré y occupe toutes les positions. La permanente fraîcheur ne caractérise-t-elle pas la série des séminaires de Lacan ? N’est-elle pas ce qui fait grimper au rideau sa biographe qui, réactionnellement, tente à toute force de faire de ses séminaires et écrits un « système », soit : de réduire à rien cette fraîcheur ?

On le sait (mais, le sachant, le sait-on ?), dans certains moments forts de crise institutionnelle, Lacan est hanté par le vol de ses idées. En 1953, il en accuse Nacht (cf. sa « Lettre à Loewenstein », dont il sera question plus loin) ; ce sera bientôt le tour d’Anzieu, puis, en 1961, celui de Lagache (cf. la « Lettre à Paula Heimann 30), en 1966 celui de Ricoeur ; et l’on se souvient encore à ce propos qu’il avait été lui-même accusé de vol d’idées par Clérambault, avant que ce dernier ne s’auto-accuse de vol dans son testament 31.

Moyennant quoi il n’y a rien d’invraisemblable à considérer que Lacan aurait reçu du patient de Kris (« je plagie l’autre »), son propre message sous forme inversée (« l’autre me plagie »). L’homme aux cervelles fraîches est la propre image de Lacan dans le miroir, son i(a), dont il reçoit le message même qui vaut envers pour un frayage n’ayant jamais cessé d’être toujours frais, d’innover. « Tout ça, lui signifie son i(a), n’est que plagiat » (voici donc qu’à mon tour je fais parler quelqu’un, il est vrai qu’il s’agit cette fois d’une image, donc de quelque chose de peu susceptible de prendre la parole par soi-même). Seul quelqu’un de sérieusement habité par la question du vol des idées pouvait un jour repérer que la vérité était toujours neuve. Une remarque quasi pléonasmatique chez Lacan, car, confirmée, passée dans l’usage, puis usée, une vérité, chez lui, s’appelle : savoir.

Manifestement, y compris pour Lacan le « préjugé » de la « propriété intellectuelle », qu’il a lui même dénoncé 32, n’est pas chose aisée à déboulonner. Et peut-être en effet ne pourrait-il l’être que si l’on savait rendre compte de ce fait que les idées, si elles ne sont pas volées, sont, telles les oiseaux d’Hitchcock, volantes ; au point que le petit carnet de notes tenu en permanence à disposition dans une poche ou sur la table de nuit est devenu l’emblème quasi caricatural de l’homme de lettres. Une idée, peut-être spécialement quand elle est une invention, ça s’attrape au vol (ce que veut dire l’Einfall freudien), geste qui peut être raté, tel le chasseur maladroit laissant filer le gibier. Et comment rendre compte aussi que le demi réveil soit, à cet égard, un instant privilégié ? Le mathématicien lui-même, étonné par les manières de l’invention dans son domaine, se penchant sur ses étranges voies hors champ de la maîtrise, du calcul, de la déduction ou de l’induction, convoque la métaphore cynégétique pour tenter de l’expliquer 33.

Quant aux garçons, non pas écervelés mais « encervelés », après avoir été les étudiants de la SFP, ils furent la nouvelle génération, les petits jeunes bien instruits, bien mijotés par l’université (à un certain moment, ceux de l’École normale supérieure). « Laissez venir à moi les petits garçons frais et moulus de l’université, miam miam ! ». Lacan en a dévoré quelques-uns et spécialement (j’écrivais « spécialemet »), comme il est ici précisé, des mâles. Comment ? À la manière de Joyce, il fit pour eux de « Lacan » un lieu où ils pouvaient passer leur vie, dans l’amour ou la haine, à se casser les dents 34.

Devant qui ?

Mais, cet « homme aux cervelles fraîches », ces cervelles-garçons, il ne se les mange pas tout seul. Il se les mange (en espagnol, ce n’est pas vulgaire mais au contraire usuel de le dire ainsi), car c’est ça l’acting-out 35, devant quelqu’un. Il ne s’agit pas d’un convive, d’un invité au festin, non, il les mange comme peut manger un acteur en scène, autrement dit : devant un public.

Il y eut la formidable prouesse de Madeleine Renaud dans Des journées entières dans les arbres : chaque soir, pourtant déjà très âgée, Madeleine Renaud engloutissait sur scène une gigantesque choucroute (à moins, chose fort probable, qu’elle n’ait réussi, performance, d’acteur, à nous en donner l’illusion). Plus récemment, à l’opéra Bastille, Dominique Pitoiset mettait en scène un Don Juan dévorant des tagliatelles à pleine bouche, ceci sans pour autant cesser de chanter (« Ah che piatto saporito », Leporello commentant :

Ah che barbaro appetito Cette faim est formidable

Che bocconi da gigante On dirait un ogre à table

Mi par prioprio di svenir Ça me donne grande peur

Devant qui donc mangeait l’ogre Lacan, faisant ainsi (puisque c’est ainsi qu’il situait l’acting-out) une demande d’interprétation d’autant plus agie, (pl)agie, plat-J. (il s ’agit d’une « mise à plat » : oralité de la topologie ?) et provocante qu’elle était assurée de ne jamais pouvoir trouver son interprétation, justement parce qu’elle était une demande d’interprétation ? Il suffit de parcourir la séquence syntagmatique lacanienne la plus commune sur cette affaire, à savoir la trinité peu sainte de l’Ego Psychology, Hartman Kris Loewenstein 36 pour trouver la réponse par simple déplacement métonymique du curseur : Lacan mangeait les garçons devant, devant « Loew », devant Loewenstein 37. Ce curseur, d’ailleurs, il y a fort à parier que Lacan l’ait lui-même déplacé, mais dans l’autre sens, ceci est quasi certain car on imagine mal qu’il ait lu l’article de Kris paru dans The Psychoanalytic Quarterly XX en 1951 sans avoir également lu celui de Loewenstein, « The Problem of Interprétation », sur le même sujet et paru dans ce même numéro de revue 38.

Cette conjecture, cette entrée que nous faisons ainsi, grâce à Baños, dans la propre analyse de Jacques Lacan présente l’avantage d’expliquer pourquoi Lacan place ou déplace les événements (l’interprétation de Kris, les repas de « l’homme aux cervelles fraîches), à New York. C’est que Loewenstein, lui, depuis 1942, vit bien à New York. Et si seulement l’on trouvait son adresse de l’époque, l’on pourrait sans doute sans trop de difficultés, vérifier qu’il y avait, à proximité de son consultoire, des restaurants étrangers où l’on servait des plats pimentés. L’on pourrait aussi demander à Jean Laplanche, qui était allé voir Loewenstein à New York juste avant d’entreprendre son analyse chez Lacan 39, s’il lui est arrivé de parler, dans son analyse, des restaurants proches du consultoire de Loewenstein cette visite à Loewenstein ayant eu lieu peu de temps avant que Lacan ne modifie son interprétation du cas de « l’homme aux cervelles fraîches », soit le 11 janvier 1956 (la première interprétation, à l’opposé, du 10 février 1954, voyait dans l’acte de manger des cervelles fraîches, une confirmation de la justesse de l’ interprétation de Kris). Loewenstein, d’ailleurs, est discrètement convoqué dans la « Réponse au commentaire de Jean Hyppolite » qui rend publique la nouvelle version lacanienne de « l’homme aux cervelles fraîches », lorsque Lacan récuse la traduction de la phrase de Freud Eine Verdrängung ist etwas anderes als eine Verwerfung 40 signée de Loewenstein et de sa maîtresse, la Princesse Marie Bonaparte. Il y a co-présence, dans ce texte, de « l’homme aux cervelles fraîches » et de Loewenstein.

Un point de référence pour ce qui nous occupe et compte tenu du peu de documents dont nous disposons est la « Lettre à Loewenstein », du 14 juillet 1953. En la relisant, on pourra vérifier à quel point Lacan mettait Loewenstein en position de juger ce qui se passait en France ; c’est devant lui que ça se passe. On vérifiera aussi combien les garçons (les « étudiants ») sont ce qu’il s’agit de conquérir, dans la confrontation avec Nacht. Enfin on vérifiera la présence du thème du vol, d’ailleurs mis explicitement en rapport avec l’oralité (il est question de plusieurs repas dans cette lettre !). Évoquant un piège tendu par Nacht (l’annonce d’une réunion où devait être décidé le programme d’étude de l’Institut où il était lui-même réduit à la portion congrue, Lacan écrit à Loewenstein :

Au plat qui nous était servi sur le ton « ne le trouvez-vous pas excellent, » par les complices encore assez rigoleurs qui l’avaient cuisiné dans l’intimité, s’adjoignait un dessert du même goût : [...] 41

Tous les éléments sont ici présents, que l’on retrouvera dans une autre configuration lorsque Lacan, non sans dire le malentendu, signale, avec ses cervelles-garçons, qu’il aura endossé les habits de « l’homme aux cervelles fraîches ».

Mais prenons juste un peu de recul : ne sommes-nous pas en train d’entrebâiller le voile épais sous lequel paraît, encore aujourd’hui, très hors de portée l’analyse de Lacan avec Loewenstein ? Selon ce que nous disons aujourd’hui, cette analyse, que Roudinesco, sans présenter aucune preuve, tient pour nulle et non avenue, ne se serait pas bouclée avec la fin des séances en 1938 42 mais se serait poursuivie jusqu’à une date à déterminer. Si Lacan est bien « l’homme aux cervelles fraîches », il apparaît en tout cas que le régime nouveau pris par son analyse fut, la chose est signalée à partir du 11 janvier 1956, celui d’un acting-out. Et l’indication selon laquelle Kris (en fait Loewenstein) se serait levé de son fauteuil, aurait donc quitté sa position d’analyste nous apprendrait que ce fut à la suite d’un tel dérapage de Loewenstein que Lacan se serait mis à manger des jeunes universitaires mâles devant un Loewenstein qui n’en pouvait mais.

Lacan ayant mis fin à ses séances avec Loewenstein en 1938, il ne viendra à l’idée de personne d’identifier comme étant Lacan ce sien patient dont fait cas Loewenstein dans l’article publié en même temps que celui de Kris :

Another example of this kind occurred in the case of a brilliant, sophisticated young man who had a contemptuous ambivalence toward men, particularly toward his own father and father figures. The outbreak of war was then expected (in 1939 in France), and I informed my patient that in the event of war I would have to interrupt his treatment to join the army. He was not to be mobilized at that time. His aloof and nonchalant attitude toward the political situation continued, without a trace of emotional reaction of any kind, and his hostile attitude toward me became more conspicuous. The patient defended himself rigorously against sharing any emotions with other men. One day he suddenly remembered that during the first World War, when his father was a soldier in the French Army, he had spent hours drawing up elaborate comparative statistics of the respective armies, navies, and air forces. It was clear that his adolescent statistics were a magic defense against his unconscious death wishes, but mainly an expression of the wish that his father might survive and be victorious. My only interpretation at that point was to tell him that during the first World War he had been patriotic. The function and the aim of this interpretation were to bring to consciousness the strongly warded-off emotions and positive feelings both toward his father and toward the analyst, who like his father had to leave him to join the army ».

Hormis une possible falsification des données présentées par Loewenstein (mais justement, peut-on l’écarter ? Loewenstein n’eut-il pas, comme tant d’autres, comme Lacan dans sa thèse, le souci de masquer l’identité de son patient en glissant ici ou là quelques faux renseignements ?), il ne saurait s’agir de Lacan : Lacan aurait mis fin à ses séances avec Loewenstein en 1938 et ceci se passe en 1939. Quoi qu’il en soit cependant (et un doute subsiste, Lacan étant bel et bien adolescent lors de la Première Guerre mondiale), cette manière d’interprétation dont fait ici état Loewenstein, était bien faite pour signaler au patient, et singulièrement au patient Lacan, que l’analyste avait dérapé de sa position. Imaginons Lacan s’entendant dire par Loewenstein qu’inconsciemment il aimait son père. Cette fiction se prolonge aussitôt en l’image d’un Lacan sautant du divan au plafond.

Ainsi donc, les « falsifications » et autres « inventions » de Lacan à l’endroit de « l’homme aux cervelles fraîches » nous apparaissent autant de formations symptomatiques, autant de retours du refoulé. Tandis que l’acting-out n’était pas interprétable, ces retours symptomatiques, eux, le sont. D’où la possibilité du présent propos.

Une enquête peut donc être ouverte, des vérifications peuvent être effectuées, une confirmation ou au contraire une infirmation de cet ensemble de conjectures peuvent être produites, les détails des « falsifications » (qui n’en sont plus du tout, mais leur transmutation ici n’est pas du même ordre que celle proposée par Baños) peuvent être expliqués. Et ceci est un avantage effectif par rapport au sauvetage de Lacan que nous propose Baños.

Encore restera-t-il ce fait curieux qu’il nous aura fallu en passer par le travail de Baños pour en arriver là. En un certain sens, nous nous sommes trouvés faire exactement ce qu’il propose comme pouvant être fait. Ce que nous avons introduit en effet, dans le cas de « l’homme aux cervelles fraîches », le déplacement que nous avons fait subir au cas, n’a d’autre statut, au moins en attendant vérification, que celui que donne Baños aux « falsifications » de Lacan : une série d’assertions qui pourraient s’avérer vraies. Mais avec cette différence que ces assertions ainsi déplacées, l’épreuve de cette vérité peut, pour chacune, être faite. Autrement dit l’analyste peut bien mettre en jeu une fiction (Freud déjà le pratiquait, en témoignait et le théorisait sous le nom de « construction » dans l’analyse), mais le caractère « pénétrant » de cette fiction ne saurait tenir à sa seule profération performative ; elle ne saurait être que le temps premier d’une conjecture en attente de sa vérité ou de sa récusation (c’était clairement la position de Freud).

Vers une histoire psychanalytique de la psychanalyse

Avoir ainsi accroché un moment de l’analyse de Lacan (celui ou, après avoir été en analyse chez Loew, il s’analyse avec Loew) n’est pas sans conséquences. On pourrait peut-être saisir, à partir de là, l’absence de solution de continuité entre l’analyse de Lacan et l’histoire de la psychanalyse en France. Car la question, n’est-ce pas, se pose (y compris sous la forme des réponses qu’y apportait discrètement Lacan en déclarant qu’ il était analysant à son séminaire, ou encore qu’il était toujours dans la passe) : qu’en fut-il de l’analyse de Jacques Lacan ? Et de ses suites ? La réponse nous est donnée par cette absence de solution de continuité.

Somme toute, personne ne sera surpris de ce que le moment de l’histoire de la psychanalyse en France qui correspond à la vie de la SPP (1953-1964) soit une scène offerte au jugement de l’IPA, les commissions d’enquête étaient là pour le manifester. Or cette scène, ajoutons-nous, sur laquelle se joue un drame dont l’enjeu binaire sera de plus en plus clairement soit la normalisation soit le rejet de Lacan, vaut aussi pleinement comme un moment de l’analyse de Lacan, plus précisément comme un acting-out de et dans cette analyse, donc une demande d’interprétation adressée à Loew, métonymie pour l’IPA (Loew restera, d’ailleurs, très mesuré dans ses jugements des actions des démissionnaires). Pourquoi Lacan s’est-il si longtemps engagé dans une demande de reconnaissance de la SPP par L’IPA ? Pour ceux qui vinrent après, cet engagement, si inutilement persévérant, paraissait absurde, tant il était évident (aux yeux de ceux qui savaient la suite !) que cette demande allait au devant d’un refus. Réponse : parce qu’il s’agissait de sa propre analyse, ayant pris le régime d’un acting-out. Roudinesco d’ailleurs, en pratiquant larga manu l’ intuition intempestive dans ce qu’elle présente comme des récits historiques, tombe juste cette fois en faisant de l’ultime visite de Loewenstein en Europe l’événement conclusif de la négociation entre l’IPA et la SPP 43.

On retiendra deux faits pour le moins indicatifs de ce lien que nous repérons entre l ’incidence de « l’homme aux cervelles fraîches » faisant signe vers son analyse dans le séminaire de Lacan et la scène institutionnelle en tant que désormais porteuse d’un enjeu concernant cette analyse de Lacan. Tout d’abord, la durée de « vie » de l’« homme aux cervelles fraîches » dans le frayage de Lacan recouvre le temps des négociations IPA SPP. La première mention (le 10 02 1954) a lieu peu après que l’IPA ait créé un comité consultatif pour étudier le problème de l’affiliation de la SFP ; la sixième et avant-dernière mention 44 (le 23 01 1963) a lieu le lendemain du jour où Serge Leclaire est élu président de la SFP, ultime et vaine tentative de faire aboutir malgré tout une négociation déjà vouée à l’échec, et alors même que la commission Turquet interroge à Paris les élèves de Lacan dont la majorité, note Roudinesco, se détourne de lui. C’est aussi le moment où Lacan invente l’objet petit a.

Il y a aussi ce fait que la bascule de l’interprétation lacanienne du cas de Kris eut lieu entre la première et la seconde mention de ce cas dans le séminaire de Lacan (respectivement : le 10 02 1954 et le 11 01 1956) et qu’entre les deux approches plus que différentes du manger de « l’homme aux cervelles fraîches » (celle de l’action confirmant la justesse de l’interprétation, puis celle de l’acting-out signalant, sous forme monstrative, que l’interprétation est passée à côté du problème) est intervenu le refus par l’IPA d’admettre comme société adhérente la nouvelle société.

Si l’on s’en remet maintenant à l’articulation acting-out passage à l’acte telle que Lacan devait la développer, on saisira aussi que la fondation de l’EFP est à situer, sur la base de cet acting-out (monter sur la scène), comme un passage à l’acte (monter sur la scène sur la scène), toujours et encore de l’analyse de Jacques Lacan. Sous ces deux modes successifs (trois si l’on compte le temps premier où Lacan est en analyse), acting-out et passage-à-l’acte, Lacan n’aurait cessé d ’être en analyse, comme – je l’ai indiqué – il lui est arrivé de le dire mais sans que nous puissions l’entendre jusqu’à aujourd’hui, ni le situer. Oui, il fut fondé à déclarer, dans Télévision, « [] ce que j’enseigne n’est pas une auto-analyse », puisque cet enseignement prit successivement les deux régimes de l’acting-out et du passage à l’acte.

Qu’y a-t-il, après le passage à l’acte ? Toute l’affaire de la dissolution de l’EFP devrait, prise dans ce fil, beaucoup éclairer cette question. La dissolution de l’EFP a la valeur du démontage de la scène sur la scène. La logique de ce démontage n’est pas celle de l’escalier ou, après avoir grimpé les marches 1 et 2, l’on peut descendre 2, puis 1. La scène sur la scène, qu’on se souvienne ici de la lecture lacanienne d’Hamlet, correspond au début de la fin de la pièce et son démontage constitue cette fin. La fin du passage-à-l’acte est aussi celle de son marche-pied l’acting-out. La dissolution ouvrait donc la possibilité d’un « passer à autre chose ».

Quoi donc ? Historiquement, cette autre chose fut le nouveau régime familial qui alors vint au jour du fait de Lacan, un malentendu lui aussi, et pas le mieux venu, mais présentant ceci de particulier que le mode d’adresse à l’IPA est désormais, sociologiquement parlant, une guerre de familles, celle de Lacan, s’élevant contre l’hégémonie de celle de Freud, Sigmund et Anna, avec pas mal de monde à leur suite dont Kris, Hartmann, Loewenstein et leurs successeurs, dont Leibovich de Duarte. La chose effraie, sa reconnaissance gêne, d’où le persistant et navrant succès du freudo-lacanisme. Pourtant, s’il s’agit de ça, ne vaut-il pas mieux le savoir ? La familialisation du lacanisme vient souligner, accentuer mais aussi prolonger le fait que, dès la fondation de l’École freudienne qui valait passage à l’acte de et dans l’analyse de Jacques Lacan, Freud n’était plus reconnu en position de surplomb (cette position qu’épinglait Foucault dans sa conférence « Qu’est-ce qu’un auteur ? ») d’où pouvait en dernier ressort, s’évaluer tout ce qui se produit sous le nom de psychanalyse. Cette position dominante deux familles désormais (et non plus une école opposée à une association, ce qui impliquait une disparité) se la disputent – fût-ce en flirtant l’une avec l’autre. Le passage à l’acte, qui n’est plus, comme l’acting-out « s’analyser devant » mais « s’analyser contre », se cristallise, se durcit, se fige en donnant à ce « contre » la figure d’un affrontement maintenant symétrique.

Qu’est-ce à dire, non plus sociologiquement mais psychanalytiquement ? Qu’en élisant la familialisation de la transmission de son enseignement, Lacan reconduisait son statut d’analysant sous le régime du passage à l’acte. La dissolution de l’École freudienne de Paris était potentiellement porteuse de la fin de l’analyse de Jacques Lacan. À cette fin, par tout ce qu’il a fait par-delà cette dissolution, Jacques Lacan aura dit non. Même à l’instant où il était le plus près de le faire, soit : peu avant de mourir, il n’aura jamais laissé tomber Loewenstein. Lacan aura échoué à faire de la dissolution de son école l’acte même par lequel il aurait mis fin à son analyse.

Quelques repères chronologiques

1925 Loewenstein émigre à Paris.

1932 Début de l’analyse de Lacan avec Loewenstein.

1934 Fondation de l’Institut.

1934 Article de Melitta Schmideberg.

1935 Virage de Mélanie Klein.

08/1936 Congrès de Marienbad. Lacan y affronte Kris.

1939 Fin des séances de Lacan chez Loewenstein après la transaction : « Je nomme titulaire ton Hartmann, et tu acceptes mon Lacan » (dixit Pichon).

1940/1944 Grandes controverses entre M. Klein et A. Freud.

1941 Loewenstein émigre aux États-Unis.

1951 Article de Kris où il présente son patient plagiaire.

1952 Loewenstein publie Psychanalyse de l’antisémitisme.

06/1953 Fondation de la SFP.

xx/xx/1953 Londres, XVIIIe congrès de l’IPA : création d’un comité consultatif pour étudier l’affiliation de la SFP à l’IPA

10/02/1954 1e présentation par Lacan du cas de Kris avec Hyppolite : l’acte comme confirmation sous forme dénégative de la justesse de l’interprétation (sém. I, Écrits techniques).

26/07/1955 Genève, XIX° congrès de l’IPA : refus d’admettre le « groupe Lagache » comme société adhérente de l’IPA.

11/1/1956 2 e mention : l’acte comme acting-out (sém. III, Les psychoses).

06/1956 J. Favez-Boutonier, présidente de la SFP, écrit à Hartmann pour le convaincre d’accepter la SFP avec Lacan.

03/1956 3 e : Le cas de Kris dans le texte de la « Réponse au commentaire de J. Hyppolite ».

13/07/58 4 e :Discussion du cas à Royaumont (cf. « La direction de la cure », paru en 1961).

1/7/1959 5 e : Reprise du cas de Kris par Lacan (sém. VI, Le désir et son interprétation).

07/1959 Nouvelle demande d’affiliation de la SFP à L’IPA.

02/08/1961 Édimbourg, XXII° congrès de l’IPA. Lebovici propose qu’on sépare le bon grain de l’ivraie de la SFP.

09/1961 Lacan parlant du « complot d ’Édimbourg ». Émergence du slogan « Lacan contre Chicago » (HPF, p. 343).

10/1961 Lacan porté à la présidence de la SFP, Dolto à la vice-présidence.

09/1962 Leclaire négocie avec Turquet.

01/11/1962 Turquet confie à Leclaire que le fragile équilibre du comité est rompu. Leclaire l’annonce à Lacan. Le comité veut remettre à sa juste place une « personnalité d’exception ».

Noël 1962. Lettre de Lacan à Leclaire (HPF, p. 346).

01/1963 Interrogatoires à Paris de la commission Turquet. Une majorité d’élèves de la SFP manifeste son hostilité à la technique de Lacan. Invention de l’objet petit a.

22/01/1963 Leclaire élu président de la SFP.

23/01/1963 6 e : Mention du cas (sém. X, L’angoisse)

Printemps 1963 Turquet vient à Paris informer la SFP des conclusions de la Commission. Lacan est inacceptable dans l’IPA.

23/05/63 La commission de la SFP remanie la liste des didacticiens. Lacan présent, demande à Favez s’il a liquidé son transfert sur Hartmann.

10/06/1963 Leclaire rend public son rapport.

22-23/06/1963 Réunion à Westminster entre les membres de comité et représentants du camp français. Turquet exige le « bannissement sans retour » de Lacan. Rupture de Lacan avec Lagache. Granoff donne lecture d’une lettre ancienne de Loewenstein en faveur du succès d’une négociation.

27/06/1963 Lettre de Lacan à P. Heimann, accusant Lagache du vol de ses idées, rédigée juste après le séminaire (HPF, 346).

13/10/1963 La scission de la SFP devient effective (HPF, p. 363).

1°/11/1963 Laplanche interrompt son analyse avec Lacan (HPF, p. 366).

20/11/1963 Dernier séminaire de Lacan à Sainte-Anne (HPF, p. 367).

11/12/1963 Création du GEP.

15/01/1964 Séance inaugurale du séminaire de Lacan à l ’ENS

10/05/1964 Création du French Study Group, devenant, le 26, l’APF (HPF, p. 376).

21/06/1964 Fondation de l’EFP.

Automne 1964 Loewenstein vient en Europe (HPF, p. 377).

1966 Aucune référence à Loewenstein dans « De nos antécédents ».

1966 Lacan récrit le paragraphe du Rapport de Rome où il était question de Kris.

08/03 1967 7 e Reprise du cas, référence faite au « Commentaire » (sém. XIV, La logique du fantasme).

1975 Rumeur selon laquelle Derrida fut l’analyste de Loewenstein (HPF, T II, p. 636).

20-24/03/1976 Congrès de Strasbourg de l’EFP : Inhibition et acting-out.

1977 Traduction des articles de Kris et Schmideberg en Argentine.

1986 Article de Palomera.

1988 Publication par Ornicar? de l’article de Kris.

1989 Publication par Faig de « Schreber de memoria » (sur d’autres « falsifications » de Lacan).

1991 Article de Leibovich de Duarte.

1999 Livre de Baños.

 

Notes

1 Exposé au colloque « Le Góngora de la psychanalyse pour vous servir », proposé par l’École lacanienne de psychanalyse à Paris les 26 & 27 février 2000, à l’occasion de la publication du livre de Jorge Baños Orellana De l’hermétisme de Lacan, Figures de sa transmission, Paris, EPEL, 1999.

2 Jorge Baños Orellana, El escritorio de Lacan, Buenos Aires, Oficio Analitico, 1999

3 J. Baños Orellana, El idioma de los lacanianos, Buenos Aires, Atuel, 1995.

4 Elle n’est pas du goût de tout le monde. Ainsi ai-je reçu à ce propos une lettre (et m’écrire, plutôt que ne pas le faire, était un geste confraternel), me signifiant une réprobation de cette publication, par nous, d’un « millérien ». J’ai répondu en demandant à quel trait mon interlocuteur s’en remettait pour identifier pareille espèce qui, selon les indications qu’il avait pu lire dans « Gel » (in Le transfert dans tous ses errata, Paris, EPEL, 1991), n’existe précisément pas.

5 Par exemple il déclare, dans El idioma, qu’il va user du métalangage, passant outre l’interdit qui pèse, sans doute largement à juste titre, sur cette façon de procéder.

6 François Balmès, Ce que Lacan dit de l’être, Paris, PUF, 2000.

7 Jean Allouch, Marguerite, ou l’Aimée de Lacan, 2e éd. Paris, EPEL, 1994

8 Ernst Kris, « Ego Psychology and Interpretation in Psychoanalytic Therapy », Psychoanalytic Quarterly, vol. 20, n° 1, 1951. Une première et brève mention du cas (citée par Kris) avait été faite par la première analyste du patient (cf. Melitta Schmideberg, « Intelektuelle Memmung und Ess-störung », Zeitschrift für psa Pädagogik, VIII, 1934, repris dans International Journal of Psychoanalysis, 1938).

9 Adela Leibovich de Duarte, « Crónica de una distorsión en Psicoanálisis », Rev. Asoc. Esc. Arg. de Psicoter. Para Guadrados n° 17, 1991, Buenos Aires.

10 Que l’on pardonne ce mot, qui évite de parler de « générations » comme si, s’agissant de la transmission de la psychanalyse, cette familialisation allait de soi.

11 Jacques Lacan, « Le temps logique et l’assertion de certitude anticipée. Un nouveau sophisme », Cahiers d’art, 1940-44, repris dans Écrits, Paris, Seuil, 1966.

12 J. Lacan, « Motifs du crime paranoïaque », Le Minotaure n° ¾, 1933-34

13 Jacques Lacan, Les psychoses, séance du 11 janvier1956, version sténotypie, p. 12.

14 Ernst Kris, « Psychologie du moi et interprétation dans la thérapie analytique », traduit de l’américain par Jacques Adam, Ornicar? N° 46, automne 1988, Paris, Navarin éd., p. 11. La supposition scientiste selon laquelle, de l’analyse kleinienne (la première « tranche ») à celle de l’Ego Psychology, « [] ce sont exactement les mêmes problèmes que l’on voit revenir, mais sous un jour nouveau, ou sous un angle nouveau de la relation dès qu’on « injecte des interprétations de type différent, "plus par la surface"  », implique, sans le formuler, un « toutes conditions étant égales par ailleurs », lequel n’est en rien satisfait, comme le prouve le fait que le patient de Kris reste habité par la crainte que sa première analyste soit au courant de sa démarche auprès du second.

15 J. Baños, El escritorio de Lacan, op. cit., p. 159.

16 A la différence des cas de Freud, qui, selon Lacan, offrent à leur lecteur les éléments susceptibles d’invalider la présentation qu’en propose Freud.

17J. Baños, El escritorio de Lacan, op. cit., p. 130.

18 J. Lacan, « Réponse au commentaire de Jean Hyppolite », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 397.

19 J. Baños, El escritorio de Lacan, op. cit., p. 159 : Si Kris ne raconte pas précisément ce que je devine qui s’est passé à la suite de son intervention « de surface », ceci ne démontre en rien que les choses ne se soient pas passées ainsi, mais seulement que Kris, amolli dans sa satisfaction, n’eut pas la pénétration suffisante pour s’en apercevoir.

20 Ibid., p. 160.

21 J. Lacan, « Réponse », op. cit., p. 393. Baños impute donc à Lacan exactement ce que Lacan dit explicitement ne pas rencontrer chez Kris.

22 J. Allouch, Allô Lacan ? Certainement pas !, Paris, EPEL, 1998. Un compte-rendu goguenard de cet ouvrage, paru dans l’Évolution psychiatrique, lui prête la prouesse d’avoir répertorié « tous les échos, toutes les traces des plaisanteries de Lacan ». Pourquoi cette totalisation, là où il n’y a que des séries ouvertes au supplément ? Réponse : le compte rendu répertorie non pas 321 mais 2131 bons mots ! Sans doute l’auteur, Jacques Postel, en a-t-il quelques-uns à nous conter. Ils seront les bienvenus.

23 J. Baños, El escritorio de Lacan, op. cit., p. 160.

24 E. Kris, « Psychologie du moi », op. cit., p. 8.

25 J. Lacan, , « Réponse », op. cit., p. 398-399. Il n’y a pas trace de ces cervelles-garçons dans la séance du 11 janvier 1956 (séminaire Les psychoses) où Lacan, pour la première fois, épingle comme étant un acting-out le fait que le patient de Kris mange des cervelles fraîches. Et comme le texte publié de la « Réponse » reprend le contenu de cette séance, on peut conclure que ces cervelles-garçons relèvent strictement de l’écritoire de Lacan, non d’une mise par écrit de sa parole.

26 Piamadre, et non pas pía madre (cf. J. Baños, El escritorio, op. cit., p. 165).

27 Ibid., p. 131.

28 J. Lacan, Les écrits techniques de Freud, séance du 10 février 1954, version sténotypie, p. 32.

29 J. Lacan, « Réponse », op. cit., p. 394.

30 Cf. Élisabeth Roudinesco, La bataille de cent ans, Histoire de la psychanalyse en France, t II, Paris, Seuil, 1986, p. 356.

31 Ibid., p. 123-124.

32 « L’occasion était belle pourtant qu’on pût s’apercevoir que, s’il y a un préjugé au moins dont le psychanalyste devrait être détaché par la psychanalyse, c’est celui de la propriété intellectuelle », in « Réponse », op. cit., p. 395. De même que pour les cervelles-garçons, on chercherait en vain cette remarque dans la séance du 10 février 1954. Les deux nouveautés sont donc liées. Le 11 janvier 1956, au moment même où Lacan écrivait sa « Réponse » (qui donc est un texte très sensiblement différent de la réponse effectivement faite à Hyppolite, là aussi il y a falsification), il déclarait : « [] le plagiarisme n’existe pas [] il n’y a pas de propriété symbolique [] le symbole est à tous ». L’absence des cervelles-garçons le 11 janvier 1956 nous ferait pencher vers la conjecture d’une écriture de la « Réponse » simultanée, ainsi que le propose Baños, ou tout juste postérieure à la séance du 11 janvier 1956.

33 J. Hadamard, Essai sur la psychologie de l’invention dans le domaine mathématique, Princeton, 1945, traduit chez A. Blanchard, Paris, 1959, cité par Nicolas Bouleau, « L’inconscient mathématicien », inédit.

34 Qu’on se souvienne ici du cas que Lacan fit de Joyce donnant du fil à retordre à l’université.

35 Les remarques qui suivent prennent appui sur la théorie lacanienne de l’acting-out dans son articulation possible avec le passage-à-l’acte. Il n’est pas question ici de résumer l’ ensemble de cette problématique qui, comme on l’a déjà indiqué, a « bougé » chez Lacan et dont certaines assertions sont devenues des formules (exemple : l’acting-out est un transfert sans analyse). On pourra consulter la publication dans les Lettres de l’école freudienne, du congrès de l’EFP intitulé « Inhibition et acting-out », tenu à Strasbourg du 20 au 24 mars1976 (Bulletin intérieur de l’école freudienne n° 19, juillet 1976), qui fut un moment fort d’école même si certaines interventions (mais pas la mienne !) tombent exactement sous le coup des critiques dont Baños fait cas.

36 Ces trois furent pris ensemble, tels des mousquetaires qui ne seraient pas quatre, par l’effet de trois articles signés de ces trois noms et parus tous trois dans Psychoanal. St. of Child : 1946 : « Comments on the Formation of Psychic Structure », 1949 : « Notes on the Theory of Aggression », et 1962 : « Notes on the Superego ».

37 Dans les Écrits, Lacan cite le « team » toujours dans le même ordre : Hartmann, Kris, Loewenstein (cf. p. 490, 644, 651) qui revient, remarque Baños, à l’ordre alphabétique. La seule autre fois où Loewenstein soit cité, Lacan se consacre à une « traduction » aussi peu littérale que celle à laquelle nous aurons bientôt affaire ici.

38 Le texte de Kris a été présenté lors d’un débat sur les implications techniques de l’Ego Psychology organisé à New York par l’American Psychoanalytic Association en décembre 1948 ; celui de Loewenstein, légèrement postérieur, fut présenté lors d’une rencontre organisée par la même association à Montréal en mai 1949. Loewenstein mentionne l’article de Kris dans ses références et Kris dans son texte. Son insistance sur la verbalisation lui fournit une appréciation de l’acting-out : « […] the therapeutic change can be achieved when the tendency gratified in the acting-out is first inhibed and then verbally expressed : then its motivation can be transformed into insight ».

On ne privera pas ici le lecteur d’un bon mot de la pratique analytique de Freud, racont é à Loewenstein par Hartmann et porté à l’écrit par Loewenstein dans cet article : « Hartmann told me of a patient who had previously been analysed by Freud. When the patient recounted in his puberty he had once dreamed of having intercourse with both his mother and his sister, Freud remarked that the patient must have been very in love with a girl at the time when he had this incestuous dream ». Décidément, Freud n’était pas freudien.

39 É. Roudinesco, op. cit., p. 299. Laplanche fut en analyse chez Lacan jusqu’en 1963.

40 J. Lacan, Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 387. Cf. É. Roudinesco, op. cit., p. 395.

41 J. Lacan, « Lettre à Rudolf Loewenstein », in La scission de 1953, supplément au numéro 7 d’Ornicar?, La communauté psychanalytique en France I, Paris, 1976.

42 É Roudinesco, op. cit., p. 137.

43 É Roudinesco, op. cit., p. 377 : Loewenstein a les honneurs de l’ultime paragraphe du chapitre « Vie et mort de la Société française de psychanalyse ».

44 La dernière (du 08 03 1967) est un renvoi à la « Réponse…  ». Le lien de l’acting-out et de l’hallucination a disparu, de même que les cervelles-garçons (conformément à ce que pouvait prévoir notre analyse (puisque ce discours a lieu par-delà le passage-à-l’acte fondateur de l’EFP que nous mentionnerons dans un instant), laissant place à l’acting-out situé comme « [..] l’objet petit a oral [..] présentifié, apporté sur un plat par le patient ».

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Revista de Psicoanálisis y Cultura
Número 12 - Diciembre 2000
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