Acheronta  - Revista de Psicoanálisis y Cultura
L' "intensification du plaisir" (Foucault) est un "plus de jouir" (Lacan) (*)
Jean Allouch


Versión en espagnol

[…] rien n’est plus brûlant que ce qui, du discours,
fait référence à la jouissance.
Le discours y touche sans cesse de ce qu’il s’y origine.
Il l’émeut à nouveau dès qu’il s’essaie à retourner à cette origine.
Et c’est en cela qu’il conteste tout apaisement
Jacques Lacan (1)

En l’occasion, puis-je ajouter un mot ? Intervenir ? Le frayage de Lacan et celui de Foucault, d’un même mouvement, donnent lieu et appellent un prolongement — ce qui n’est pas le cas, loin s’en faut, de chacun de ceux qui ont ouvert une voie. L’existence d’une possible suite, ouverte aux aléas de rencontres fortuites, susceptible de se retourner contre certaines positions un temps tenues, produisant ses propres déchets, assignant le propos à ne jamais faire système, fait contraste avec bien des auteurs. Hegel notamment, nettement, fait contrepoint et pour Foucault et pour Lacan (2). A vrai dire, il n’y a de suite possible que là où un frayage est déjà à lui-même sa propre suite, aura su, un certain nombre de fois, se déprendre de lui-même, faire localement et autant de fois déchet, se refuser au système (3).

Une analytique foucaldienne ?

Durant les quelques années qui précèdent sa mort, celles qui nous paraissent après-coup pouvoir être ainsi situées, Michel Foucault a dit et publié, le plus souvent dans des endroits choisis, communautaires plus que grand public, un certain nombre de choses concernant la sexualité moderne. Ses ultimes travaux à propos de l’histoire de la sexualité et du souci de soi ont eu ce discret contrepoint d’actualité qui, remarquablement, ne censurait pas tout de ses propres expériences. Ce qui ne l’empêche pas, à l’occasion, de dire « nous ». Ces propos apparemment marginaux s’inscrivent dans de ce que Gilles Deleuze a appelé « l’autre moitié » de la tâche que s’assignait Foucault.

Si Foucault jusqu’à la fin de sa vie attacha tant d’importance à ses entretiens, en France et plus encore à l’étranger, ce n’est pas par goût de l’interview, c’est parce qu’il y traçait ces lignes d’actualisation qui exigeaient un autre mode d’expression que les lignes assimilables dans les grands livres. Les entretiens sont des diagnostics (4).

Avec Foucault, le clivage livres / entretiens, ou encore histoire / actualité, n’est pas absolu, loin s’en faut. Le renvoi des entretiens aux livres qui les appellent constitue bien plutôt, en tant que tel, un mode d’intervention qui fait généalogie. Quand on l’étudie pour lui-même comme le fit François Ewald (5), il ne manque pas d’évoquer l’intervention psychanalytique et même, carrément, celle du premier Freud :

On ne peut pas s’empêcher de penser — j’ouvre ici une parenthèse — à un rapport entre Foucault et la psychanalyse, puisque cette identification du présent comme récurrence d’un événement qui se répète dans l’actualité, c’est quand même très près de ce que Freud décrivait comme l’inconscient.

La solution qu’aurait mise en œuvre Foucault n’est pas moins freudienne, cette fois au sens du Lacan qu’a lu Foucault (principalement celui d’avant l’invention de l’objet petit a (6)) :

[…] comment dans une conjoncture donnée faire qu’un mot, une parole, ne soit pas seulement une parole mais soit aussi toujours un acte (7).

Ironiquement, Foucault aurait été ouvertement « analyste » au moment même où il faisait valoir à quel point la psychanalyse se laisse localiser comme une pastorale. Selon la partition que distinguait Deleuze, chaque intervention de Foucault, avec ses deux « moitiés » qui ne manquent pas d’évoquer le « mi-dire » de Lacan, s’effectuerait sur un mode « analytique ». Ainsi la remarque qu’écrit entre parenthèses F. Ewald paraît-elle bien réclamer l’effacement des parenthèses qui maintiennent l’analyse comme partiellement hors du propos. Il y a, souligne-t-on aujourd’hui, une activité « diagnostique » de Foucault (évidemment mise en œuvre « à sa manière » – mais n’est-ce pas aussi le fait du psychanalyste, ceci dans l’exacte mesure où la psychanalyse selon Freud ne peut que rester résolument attachée à la singularité du cas ?). C’est ainsi qu’au regard de l’actualité qui lui importe, les études historiques de Foucault ont valeur d’anamnèse (elle aussi à sa manière, non médicale) ; c’est ainsi que, comme le souligne Daniel Defert, l’histoire foucaldienne comme diagnostic du présent vise essentiellement à dissiper notre identité (8). Or cette dissipation d’une identité de fiction, mais pas moins réelle pour autant, est aussi ce qu’aura fait l’acte interprétatif ayant mis fin au symptôme, lui même bel et bien porteur d’identité.

Il y aurait un inconvénient à développer, dans sa généralité, la ligne de rapprochement qui ainsi se dessine, celui de s’en tenir un propos non identique à ses conditions (9), non réglé par ce à quoi il se rapporte. Pour qu’à l’inverse ce puisse être le cas, encore faut-il prendre la chose non de haut, mais par un de ses bouts. Choisissons non pas la sexualité en son histoire et sa modernité mais un trait bien localisé chez Foucault, un trait distinct même s’il n’apparaît pas absolument clair, un trait dont Foucault semble avoir usé, en diverses occasions, avec beaucoup de naturel et sans jamais avoir éprouvé le besoin de le problématiser autrement que par l’usage qu’il en faisait. Ce trait est le plus souvent désigné par le mot « intensification » ; il s’agit de l’intensification dite « du plaisir ». Cette intensification qui, nous le verrons, est celle d’une jouissance, qui n’est pas un item parmi d’autres puisqu’elle commande l’activité analytique, a-t-elle son répondant chez Lacan ? A-t-elle un rapport avec ce qui, à première vue, paraît bien être son frère jumeau, à savoir le « plus-de-jouir » (10) lacanien, lui-même un autre nom pour l’objet petit a ? Quelle ironie alors, de l’histoire ! N’ayant pratiquement rien su de l’invention majeure de Lacan, à savoir l’objet petit a (tout au moins à en juger par les traces que nous avons de ce qu’il aurait dit ou écrit à l’endroit de Lacan), Foucault, en acte et indépendamment de toute contamination théorique, aurait lui aussi tourné autour de la production de cet objet.

Mentionner Naissance de la clinique, l’analyse du panopticon de Bentham dans Surveiller et punir ou encore la description du modèle de l’inclusion du pestiféré comme origine du pouvoir de la norme (« […] rien de ce qui se passait dans la ville n’échappait à leur regard» (11)) suffirait à étayer cette conjecture. Chacun de ces textes désigne un certain objet petit a, à savoir le regard. Plus exactement, chacun fait valoir une certaine incidence, disons « disciplinaire », du regard. Chaque modèle décrit tient sur une intensification de la jouissance de ce regard disciplinaire : enlevez-la, l’édifice s’écroule. Ce regard ne veille pas, il sur-veille. Il capte, à son profit, un plus-de-jouir, parfois ouvertement, comme dans l’économie du pouvoir de punition dans le droit classique où, disait Foucault, « Il fallait qu’il y ait une sorte de plus du côté du châtiment» (12).

Pourtant, objectera-t-on, l’intensification du plaisir signe, chez Foucault, non ce qui focalise une pratique disciplinaire mais, au contraire, un écart par rapport à toute mise en place disciplinaire/identitaire. La remarque est juste, et donc bien faite pour évacuer la question. Question foucaldienne à notre connaissance jamais encore posée : est-ce, chez Foucault, le même « objet » (mais le terme est à repenser) qui commande le jeu réglé de la discipline et celui, hasardeux, aléatoire, de sa locale subversion ? Les remarques de Foucault sur le pouvoir et la résistance, indissociablement associés, liés dans (et par) un même « jeu », signalent, au moins dans les faits convoqués, l’existence d’un rapport entre la sur-jouissance du pouvoir et l’intensification du plaisir libérée par la subversion, à la fois stratégique et ludique, de cette sur-jouissance.

Le plus-de-jouir lacanien pourrait-il donc aider à lire Foucault ? Montrer que l’intensification du plaisir est un plus-de-jouir aurait cet avantage de nous inviter à réinterroger Foucault sur une question chez lui centrale et qui trouverait son pendant dans la psychanalyse lacanienne. Y a-t-il une articulation entre ce qui, dans le pouvoir jouit, jouit même d’un certain blocage que cette surjouissance scelle, et l’intensification du plaisir que peut obtenir la résistance quand elle débloque cette position du pouvoir et la sienne du même coup ? Foucault a posé en acte cette question ; il ne l’a pas, à notre avis, problématisée. Dans la psychanalyse lacanienne, on ne sait pas non plus bien dire, c’est-à-dire écrire, comment l’objet petit a peut fonctionner dans le fantasme (avec des effets de blocage, de production de symptômes d’inhibitions et d’angoisses) et dans cet au-delà du fantasme qu’est la pulsion avec un effet libératoire d’un certain quantum de libido, d’un plus-de-jouir (13).

Foucault Lacan : une souterraine convergence ?

Après s’être mis à son école par l’accueil enthousiaste qu’il réservait à l’Histoire de la folie à l’âge classique et à Naissance de la clinique, après avoir fait grand cas de Les mots et les choses en ferraillant avec Foucault sur Las Méninas (Foucault assistait, quasi silencieux, à cette séance du séminaire (14)), après avoir joué au tennis avec Foucault avec pour balle la discursivité, Lacan paraît avoir laissé de côté les ultérieurs travaux de Foucault. Dans ses séminaires, il le cite une ultime fois le 4 novembre 1971, ce qui n’implique pas que, par la suite, Foucault ne soit pas intervenu en sous-main. De son côté, Foucault, après avoir saisi, dès les années cinquante, que Lacan faisait valoir, chez Freud, contre Sartre et contre la phénoménologie, que « le sujet a une genèse, le sujet a une formation, le sujet a une histoire, le sujet n’est pas originaire» (15), après avoir parfaitement repéré que Lacan cherchait dans la psychanalyse « non pas un processus de normalisation des comportements mais une théorie du sujet» (16), Foucault paraît ignorer Lacan, peut-être rebuté par un hermétisme qui a éloigné de Lacan bien d’autres interlocuteurs potentiels de qualité. En 1978, Foucault a ce mot : « A partir de 1955, quand Lacan livrait la partie essentielle de son enseignement, moi j’étais déjà à l’étranger» (17). Lisant cet « à l’étranger » comme une métaphore, posons la question : était-il bien, par rapport à l’invention majeure de Lacan, celle de l’objet petit a, à l’étranger ? Je vais tenter de montrer qu’au contraire, travaillant chacun indépendamment, ils se trouvent cependant l’un et l’autre appliqués à cerner, à dégager la fonction de l’objet petit a comme étant ce qui ce qui est en jeu, de diverses façons, dans l’érotologie contemporaine.

L’aiguillage

A première vue, la discursivité aurait été le point d’aiguillage à partir duquel Lacan et Foucault auraient cessé de se parler. On sait leur tennis à ce propos (18). Lacan est au service, lorsqu’il lance, le 7 novembre 1955, à Vienne, son mot d’ordre d’un « retour à Freud » auquel aucun psychanalyste, auquel seul Foucault, quatorze ans après, fera réponse, autre chose donc qu’une adhésion ou un refus. Le 22 février 1969, reprenant cette balle, mais jouant aussi avec d’autres balles, Foucault brosse le portrait d’une modalité de la fonction auteur, l’instaurateur de discours, qui vient légitimer, après-coup, le rapport de Lacan à Freud. S’étant senti « convoqué », présent, Lacan reconnaît qu’avec son « retour à Freud » il occupe bien, au champ freudien, la place et la fonction, à la fois secondes et nécessaires, que vient de dessiner Foucault. Sans doute n’était-ce pas rien de s’entendre dire que c’était Freud et non pas Lacan qui avait fait le lit de Lacan, qu’il n’était pas seulement « freudien » mais en quelque sorte Freud lui-même, un Freud revenant – puisque le « retour à… », disait Foucault, est aussi un « retour de… ». Cette médaille avait pourtant son revers. Ou bien ce retour ne se bouclait pas, Freud restait « surplombant » la psychanalyse, et « lacanien » n’avait aucun sens (ce qui n’était peut-être pas si désagréable pour Lacan). Ou bien, en levant l’oubli que Freud avait instauré, Lacan, en Freud-revenant, avait opéré une catastrophe (au sens qu’un René Thom pourrait peut-être chiffrer) dans la discursivité freudienne, une catastrophe dont ni Lacan ni Foucault ne savaient dire ce qu'elle pouvait être ou avoir été, et pas non plus ses conséquences pour ladite discursivité. Quoi qu’il en soit, la conférence du 22 février 1969 eut, sur Lacan, l’effet d’une coupure ; elle fit interprétation. Dit en termes foucaldiens, elle aura provoqué, chez Lacan faisant retour à Freud, « l’égarement de celui qui connaît» (19). Le fait mérite d’être noté : par exemple, la remarque de Lévi-Strauss à Lacan selon laquelle, avec son grand Autre, il allait réintroduire Dieu, en dépit d’une justesse aujourd’hui largement confirmée par bon nombre de groupes lacaniens, n’eut absolument pas le même effet.

La preuve de cet égarement provoqué nous est donnée par le fait que, juste après, dès le 26 novembre 1969, Lacan inventait sa théorie des quatre discours (du maître, de l’hystérique, universitaire, analytique). De son côté, Foucault allait au contraire délaisser quelque peu la discursivité au profit d’une analyse des pratiques (20). Foucault admettait alors ne pas pouvoir écrire une typologie des discours, tandis que c’était exactement ce que Lacan était en train de produire. Lacan s’appuyait, pour ce faire, sur une petite machine de quatre lettres et à quatre places, ce qui donnait quatre et seulement quatre discours, Foucault se gardant, lui, de telles formalisations. Ainsi y eut-il bien, à l’endroit de la discursivité, entre Lacan et Foucault quelque chose comme un aiguillage, un point à partir duquel leurs voies divergeaient.

Est-ce pourtant si net ? Foucault en avait-il fini avec la discursivité ? Il suffit de lire dans son premier cours aujourd’hui publié sa description du « discours de la discipline » en tant qu’il se laisse différencier de celui de la loi pour être sûr qu’il n’en était rien (21). Qui plus est, au plan conceptuel, on ne peut manquer de se demander si le concept de « jeu de vérité » ne reconduit pas une condition de possibilité de toute démarche analytique, une certaine clôture, que celui de « discours » était assez bien fait pour cadrer (22). Quant à Lacan, que la machinerie des quatre discours se révèle avoir une valeur heuristique ne l’empêchait ni de parler d’autres discours que ses quatre, par exemple de « discours de la science » ou de « discours capitaliste », ni d’envisager autrement que sur la base de la discursivité certains problèmes que la discursivité était incapable de résoudre. Comme tout mathème chez Lacan (et ailleurs, et jusque dans les mathématiques elles-mêmes), celui des quatre discours n’est opérant que dans certaines limites et pour certains problèmes. En particulier celui de l’analyse comme opération finie, comme « fin de partie », échappait radicalement au filet de la discursivité.

Convergences

Avant d’en venir à l’intensification, qui, selon notre conjecture, constitue un des points vifs de ce qui serait une rencontre Foucault Lacan au sens où chacun d’eux aurait eu affaire au même os tout en en jouant différemment, énumérons brièvement un certain nombre de résonances (appelons provisoirement ça comme ça, a minima) entre eux. Elles invitent à penser qu’en l’absence d’échange à partir du début des années soixante-dix, qu’en dépit de batteries conceptuelles différentes, de champs d’étude différents, de manières différentes d’analyser et de mille autres différences encore, le problème que chacun tentait de traiter pourrait bien avoir été le même : l’érotique de l’objet petit a. Dans les termes de Foucault, on dirait : le rapport du vrai à l’intense (23). Deux parcours différents donc, deux parcours plutôt indépendants (mais ayant largement un même contexte que pourrait aisément baliser une liste de noms propres), deux parcours s’ignorant presque totalement à partir d’un certain moment, et cependant, souterrainement, un même problème (24).

Le sujet La première de ces résonances, elle signalée par Foucault (25), n’est rien de moins que le sujet. Elle a pour corollaire la mise à l’écart de l’humanisme (la « mort de l’homme ») comme celle de toute Weltanschauung. Pour Foucault comme pour Lacan, le sujet n’est pas un donné, n’est pas institué, n’est pas cette entité stable, fût-elle forgée dans un cogito, à partir de laquelle pourraient se déployer des chaînes d’évidences. Foucault :

J’ai essayé de sortir de la philosophie du sujet en faisant la généalogie du sujet moderne, que j’aborde comme une réalité historique et culturelle ; c’est-à-dire comme quelque chose susceptible de se transformer […]. (26)

Une telle possible transformation est basale chez Lacan qui, en 1966, situait un des tournants de son frayage comme celui « du sujet enfin en question », c’est-à-dire du sujet enfin pris comme question. Sans un tel sujet susceptible de transformation, Lacan n’aurait pu envisager une seule seconde que le sujet puisse se constituer comme tel. Sans cette transformation, une opération arithmétique qu’il appelait « division du sujet » n’est tout simplement pas envisageable (27), comme n’est pas envisageable (pour ici convoquer le dernier Lacan) la notion d’un sujet constitué non plus tant à partir du signifiant mais par le nouage des trois dimensions réel, symbolique, imaginaire (28).

Cette première résonance entre Lacan et Foucault va d’ailleurs au-delà de ce point de départ puisque, tandis que chez Lacan la subjectivation est une désubjectivation, le sujet se constituant en troisième personne (ici l’ouvrage de Freud sur le mot d’esprit est capital), tandis que Lacan dit sa préférence pour « un discours sans paroles », l’on trouve chez Foucault cette même manière de subjectivité. Le sujet se constitue en se déprenant (29) et sans doute ne serait-il pas abusif d’avancer, usant d’une formule lacanienne, que cette déprise, chez Foucault, s’opère à chaque fois par une levée de « la méprise du sujet supposé savoir ». Chez Foucault comme chez Lacan, il y a subjectivation au niveau de ce que Foucault disait être « le principe éthique le plus fondamental », le « Qu’importe qui parle » beckettien qui ouvre et clôt la conférence « Qu’est-ce qu’un auteur ?» (30).

Langage circulant Une seconde résonance s’ensuit. Il s’agit d’un régime d’intervention que Foucault appelait le langage circulant, opposé au langage stagnant. Remarquablement, il n’est pas une seule des déterminations de ce langage circulant que distingue Daniel Defert qui ne s’applique à Lacan. L’écriture de Foucault, en tant qu’elle appelle son propre effacement, nous renvoie directement à ce que Lacan appelait l’ « effaçons du signifiant », ainsi qu’au terme lacanien de « poubellication », qui n’est rien moins que métaphorique. Lacan lui aussi s’adresse à des gens (les psychanalystes) inscrits dans un champ de savoir. Son écriture à lui aussi vise à provoquer non le commentaire mais une expérience ni vraie ni fausse de « vacillement dans l’être », à introduire un rapport nouveau à ce dont il est question avec Freud. Au « penser autrement » de Foucault, fait directement écho le « ça n’est pas ça » de Lacan, que celui-ci portait en quelque sorte à son comble dans la phrase elle-même qui allait ouvrir la porte du borroméen :

Je te demande de me refuser ce que je t’offre parce que ça n’est pas ça. (31)

Quant à la perspective selon laquelle le lecteur, loin d’être sollicité comme herméneute, « fait plutôt l’expérience d’un épuisement du réel, d’un non sens» (32), je n’apprendrai rien aux auditeurs et maintenant aux lecteurs du séminaire La relation d’objet et les structures freudiennes en faisant remarquer que c’est exactement ce à quoi ils ont eu affaire avec l’analyse proposée par Lacan du cas du petit Hans.

Coups de gomme Lorsque D. Defert écrit que l’écriture de Foucault « est portée par une lecture qui appelle une autre écriture» (33), il transcrit, en une formule, exactement ce que Lacan appelait l’effaçons du signifiant : une écriture de l’écrit. La translittération donc, est ce qui, chez Lacan, dans le symbolique, efface, déplace, défait, libère, ce qui amène non la vérité (aléthéia) mais cet oubli (léthé) qui seul peut faire solution, dissolution du symptôme – Freud ayant repéré que l’hystérique « souffre de réminiscences » (cette découverte étant elle-même généralisable à tout symptôme) (34).

Du langage circulant à l’effaçons du signifiant, la résonance est si forte qu’elle emporte, chez Lacan la définition elle-même du signifiant, formalisée dans le mathème S1 - S2. Une nouvelle fois, nous surprenons Lacan tenter une formalisation là où Foucault, sans doute plus soucieux de régler son propos sur l’absence de catégories universelles de la pensée, s’abstient de le faire. Y a-t-il là une divergence rédhibitoire ? Le conclure serait négliger que cette absence est écrite dans ce mathème où la flèche indique un rapport qui lie, à chaque fois et d’une manière évanescente, un particulier à un particulier. L’écart n’est donc pas si grand entre ce S1 - S2, entre « l’effaçons du signifiant » et les « coups de gomme » de Foucault qui, « […] destinés à viser l’anonymat, marquent plus sûrement la signature d’un nom que les porte-plumes ostentatoires» (35).

Sur le statut du nom propre alors acquis, Lacan, Foucault et Deleuze se rejoignent, et Deleuze le dit parfaitement dans la déclaration ci-dessous :

Dire quelque chose en son propre nom, c’est très curieux ; car ce n’est pas du tout au moment où l’on se prend pour un moi, une personne ou un sujet, qu’on parle en son nom. Au contraire, un individu acquiert un véritable nom propre à l’issue du plus sévère exercice de dépersonnalisation, quand il s’ouvre aux multiplicités qui le traversent de part en part, aux intensités qui le parcourent. (36)

Jeux de vérité De même, l’écart n’est pas si grand s’agissant de la vérité puisque la définition de la vérité comme mi-dire ne paraît une définition en termes d’universel qu’au regard de qui néglige sa teneur : sauf à évacuer la question en écartant axiomatiquement tout métalangage – ce que faisait Lacan – la vérité de la vérité n’est pas moins mi-dite que la vérité de quoi que ce soit. Il s’agit d’une modalité du vrai qui comporte sa propre défaillance, différente de celle du logico-positivisme, qui, lui, posant qu’il y a du vrai de vrai, a également affaire (via les paradoxes qu’il engendre) à une défaillance du vrai. Lacan est donc sur une position foucaldienne : la vérité comme mi-dire est un jeu de vérité. Réciproquement, chez Foucault, la vérité est clairement située comme un dire, ce que Paul Veyne n’a pas manqué de signaler (37).

D’autres traits communs, non moins importants, pourraient prolonger cette liste. Cependant, il paraît plus ajusté de porter l’interrogation de la proximité Lacan Foucault là où, d’un point de vue censément foucaldien, elle serait en défaut. A savoir sur la question du désir, Lacan étant supposé en faire le vif du sujet, tandis que Foucault en aurait déplacé le problème, faisant valoir le plaisir contre le désir. Cette discussion nous rapprochera de celle de l’intensification du plaisir ; nous glisserons ainsi de la question du désir à celle de sa cause.

Intensification du plaisir et plus-de-jouir

L’opposition plaisir désir

Après avoir, dans la première partie de cette étude, approché Foucault par le biais de certains de ses lecteurs, profitant en quelque sorte de l’irremplaçable éclairage qu’apporte parfois un tel ricochet, nous allons maintenant directement nous référer à lui.

Selon bon nombre de ses déclarations, l’opposition désir / plaisir serait celle grâce à laquelle il se démarquerait le plus nettement de la psychanalyse. Disons : d’une certaine psychanalyse, celle, pastorale, dont l’actualité confirme qu’elle mérite largement la correction que lui inflige Foucault. C’est aussi dire que Lacan n’est pas touché par cette critique qui, au contraire, cerne sa place dans la psychanalyse et rend compte des combats les plus actuels au champ freudien. L’invention en 1963 de l’objet petit a comme un morceau corporel de jouissance, la problématisation de la différence plaisir / jouissance (38), l’interrogation à propos de l’existence d’une jouissance de l’Autre qui se déploie à partir de l’année 1968-1969 du séminaire de Lacan, l’analyse du rapport savoir / jouissance, transcrite dans le quasi illisible « Lituraterre »(39), tout ceci, avec bien d’autres choses encore, signale clairement que Lacan ne fait pas partie de tout ce monde qui, selon une formule d’ailleurs un peu malheureuse de Foucault (un freudien ignorant Lacan ne s’y reconnaîtrait pas non plus), philosophe comme psychanalyste « explique que ce qui est important c’est le désir et que le plaisir n’est rien » (40).

Voici une des assez nombreuses déclarations de Foucault où intervient l’opposition désir / plaisir :

[…] depuis des siècles, les gens en général – mais aussi les médecins, les psychiatres et même les mouvements de libération – ont toujours parlé de désir, et jamais de plaisir. « Nous devons libérer notre désir », disent-ils. Non ! Nous devons créer des plaisirs nouveaux. Alors peut-être le désir suivra-t-il. (41)

L’opposition désir / plaisir n’est pas ici celle de deux termes qui s’excluraient l’un l’autre puisque, ce désir, auquel Foucault dit d’abord non, est cependant prié de suivre. Le pourrait-il s’il était d’abord totalement absent du plaisir ? Il apparaît donc pertinent de ne pas trop durcir cette opposition ; et de même, de ne pas trop durcir l’opposition, corrélative, entre « art érotique » et « science du sexe ». Il existe d’ailleurs un entretien de Foucault, de 1983, dont la traduction française fut corrigée par Foucault, qui donc a valeur de texte, dont la spéciale importance tient à ce qu’il nuance et même corrige la distinction trop nette entre art érotique et science du sexe. Dans cet écrit, Foucault distingue l’art érotique à proprement parler (chinois), l’économie des plaisirs (grecque), et enfin la science du sexe (l’Occident romain, puis chrétien) (42). Il s’agit d’un ternaire et non pas d’un binaire. Foucault pousse même alors son propos jusqu’à distinguer trois pôles de la conduite sexuelle :

Si, par conduite sexuelle, nous entendons les trois pôles que sont les actes, le plaisir et le désir, nous avons la « formule » grecque, qui ne varie pas en ce qui concerne les deux premiers éléments. Dans cette formule grecque, les « actes » jouent un rôle prépondérant, le plaisir et le désir étant subsidiaires : acte-plaisir-(désir). Je mets désir entre parenthèses, car avec la morale stoïcienne commence, je crois, une élision du désir, le désir commence à être condamné.

La « formule » chinoise, quant à elle, serait plaisir-désir-(acte). L’acte est mis de côté, car il faut restreindre les actes afin d’obtenir le maximum de durée et d’intensité du plaisir.

La « formule » chrétienne, enfin, met l’accent sur le désir en essayant de le supprimer. Les actes doivent devenir neutres ; l’acte n’a pour seule fin que la procréation ou l’accomplissement du devoir conjugal. La plaisir est, en pratique comme en théorie, exclu. Cela donne (désir)-acte-(plaisir).Le désir est exclu en pratique – il faut faire taire son désir – mais en théorie il est très important.

Je dirais que la « formule » moderne est le désir – qui est souligné théoriquement et accepté dans la pratique puisque vous devez libérer votre désir ; les actes ne sont pas très importants, quant au plaisir, personne ne sait ce que c’est. (43)

On a là une petite machine symbolique, un mathème dont on pourrait développer, à l’aveugle, les autres possibilités qu’il comporte – quitte à devoir se demander par la suite si quelque cristallisation de la réalité sexuelle leur correspond.

Formule grecque : acte–plaisir–désir

Formule chinoise : plaisir–désir–(acte)

Formule chrétienne : (désir)–acte–(plaisir)

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Dans ce mathème, la parenthèse vaut comme marqueur de ce qui est élidé. Les italiques désignent, au contraire, ce sur quoi l’accent est mis. Mais Foucault prend soin d’indiquer d’une autre façon encore – en ordonnant la suite des termes – ce sur quoi l’accent est mis. Les places sont marquées : la première à gauche est celle de ce qui est accentué, la troisième celle de ce qui est élidé (l’élision est donc, elle aussi, marquée de deux manières différentes). Il y a donc, implicite, quelque chose comme un gradian entre les places un et trois. Cette double détermination du marquage ne relève pas d’un caprice. On doit bien, par exemple, marquer l’accentuation par la place dès lors que, dans la formule chrétienne, ce qui est accentué est aussi élidé. On voit que le nombre des possibilités générables à partir de ce mathème est très supérieur aux six que donne le pur jeu de trois lettres et de trois places (abc, acb, bac, bca, cab, cba). Pour chaque série de trois, la parenthèse, mais aussi les italiques génèrent sept possibilités. Par l’éventail qu’il déploie, ce texte de 1983 récuse l’usage simpliste et quelque peu manichéen qui peut être fait de l’opposition désir / plaisir.

Foucault se serait-il rangé lui-même dans ce modernisme dont il est ici question (mais dont il n’écrit pas la formule) où « personne ne sait ce qu’est le plaisir » ? En tout cas, le plaisir, chez lui, n’est pas le plaisir freudien, celui qui s’obtient par abaissement des tensions libidinales. Chez Foucault, le terme « plaisir » désigne exactement ce que Lacan appelle « jouissance ». Plusieurs arguments plaident en faveur de cette identification.

Chez Foucault comme chez Lacan, on trouve explicitement formulée la question de l’invention de nouveaux plaisirs. Lacan déplorait que la psychanalyse n’ait pas inventé une nouvelle perversion. « Est-ce si sûr, lui répond (indirectement) Foucault, comptez-vous pour rien le plaisir de l’analyse ? »(44). Il est bien clair que Lacan ne le compte pas pour rien puisque, si ce plaisir, si cette jouissance a bien reçu son nom de transfert dans la psychanalyse freudienne, c’est à Lacan que l’on doit qu’une porte soit ouverte vers la dissolution du transfert grâce à la mise au jour de ce dont il s’agit dans la jouissance transférentielle, à savoir soutenir, par méprise, et grâce à l’incidence d’un signifiant non subjectivé (cf. le mathème du transfert (45)), l’existence d’un sujet supposé savoir.

Autre argument, chez Foucault comme chez Lacan, on trouve posée la question de la jouissance de l’Autre. Il s’agit d’une question que Lacan a beaucoup plus travaillée que Foucault, mais que celui-ci formule explicitement, en disant par exemple, en 1982 :

Ce que je veux poser comme question c’est : sommes-nous aujourd’hui capables d’avoir une morale des actes et des plaisirs qui pourrait tenir compte du plaisir de l’autre ? Le plaisir de l’autre est-il quelque chose qui peut être inclus dans notre plaisir […] ? (46)

Enfin, il y a certains textes où Foucault, explicitement, identifie ce qu’il appelle plaisir comme jouissance ou encore comme volupté. En 1982, commentant la conversion à soi chez Sénèque, Plutarque et Épictète, il remarque qu’elle est pensée souvent sur un modèle « de jouissance possessive : jouir de soi, prendre son plaisir avec soi-même, trouver en soi sa volupté » (47).

A vrai dire, il ne semble pas que l’identification du plaisir foucaldien comme jouissance fasse difficulté. En revanche le désir apparaît bien comme étant quelque chose sur quoi la psychanalyse lacanienne focalise la subjectivité, livrant ainsi cette psychanalyse, pieds et poings liés, aux critiques de Foucault.

Il y a là une lecture de Lacan incomplète, défaillante et, pour finir, fautive. Sur la question du désir, après s'en être remis à Hegel, ce qui lui permit tout un temps de définir le désir comme « désir de l’Autre » (non sans une équivoque entre génitif objectif et subjectif, jamais levée si ce n’est que l’invention de l’objet petit a fera que la question ne se posera plus), Lacan s’est dégagé de cette prise hégélienne. Comment ? En inventant l’objet petit a (48). Avec cette invention Lacan, une nouvelle fois, pense contre lui-même. En effet, ce n’est pas la même chose d’avancer, comme il le fit d’abord, que le désir se constitue en référence à un autre désir, ou bien de dire que le désir est essentiellement causé par un objet, un objet qui n’est pas celui vers lequel il se dirige, un Gegenstand, mais un morceau de corps, un déchet corporel, un paquet de jouissance qui fait le sujet désirant pour autant qu’il l’aura perdu.

Nous voici donc au pied du mur avec la question : y a-t-il une articulation envisageable entre plus-de-jouir et cette intensification du plaisir que nous pouvons maintenant nommer une intensification du jouir. Les termes paraissent bien proches…

L’intensification du plaisir comme plus-de-jouir

A quoi, chez Foucault, se trouve liée l’intensification du jouir ? Au jeu. Ses déclarations sur le S/M sont à cet égard parlantes, même si l’on peut conjecturer que le problème puisse être abordé, avec le même résultat, en étudiant les ultimes analyses foucaldiennes du rapport pouvoir / résistance, ou encore le statut de l’intellectuel. Le terme de « jeu » est à entendre au sens du jeu stratégique mais aussi au sens du non ajustement, du non rapport sexuel dirait Lacan, ce non ajustement ayant la valeur de ce qui donne son sel au jeu stratégique. De quoi est fait ce jeu ? De pouvoir et de résistance, de renversement des situations et des positions. Mais il faut entendre « pouvoir » aussi au sens que développe Leo Bersani lorsqu’il souligne que l’exercice du pouvoir peut comporter celui de sa propre renonciation (49). L’impuissance, avait dit Lacan, n’est pas « ne pas pouvoir », mais « pouvoir ne pas ».

Soit une des ultimes déclarations de Foucault à ce propos (50):

Le pouvoir n’est pas le mal. […] Prenez par exemple les relations sexuelles ou amoureuses : exercer du pouvoir sur l’autre, dans une espèce de jeu stratégique ouvert, où les choses pourront se renverser, ce n’est pas le mal ; cela fait partie de l’amour, de la passion, du plaisir sexuel.

Deux ans avant, Foucault avait dit ceci à propos du jeu :

Ce mélange de règles et d’ouverture a pour effet d’intensifier les rapports sexuels en introduisant une nouveauté, une tension et une incertitude perpétuelles, dont est exempte la simple consommation de l’acte. (51)

De ce lien entre jeu et intensification du plaisir, Foucault nous donne aussi le contre-modèle :

[…] on peut imaginer qu’il y a des sociétés dans lesquelles la façon dont on mène la conduite des autres est tellement bien réglée à l’avance que tous les jeux en quelque sorte sont faits. (52)

Il y a des noms, en psychiatrie, pour dire ce contre modèle, par exemple « automatisme mental », au sens non de Pierre Janet mais de Gaëtan Gatian de Clérambault. Une voix enjoint au sujet : – « A poil ! », et voici la consigne aussitôt « exécutée ». Pour la jouissance de quel regard ? Celui de la police ? Or, conformément au dispositif que décrit Foucault, ce contre-modèle – essentiellement paranoïaque – implique une misère sexuelle. On sait que, depuis sa thèse, la paranoïa n’a cessé d’habiter et d’informer, comme ici chez Foucault au titre d’un contre-modèle, le frayage de Lacan. Chez Lacan aussi, c’est donc la mobilité qui compte. Il l’inscrit dans la définition même du signifiant : S1 - S2.

Pouvons-nous donc purement et simplement reconnaître dans l’intensification du plaisir une des figures de l’objet petit a, ceci d’autant plus aisément que Lacan renommait cet objet « plus-de-jouir » ? Le dispositif de production de ce supplément de jouissance décrit par Foucault et Lacan paraît bien être le même, ce que confirme le fait que l’un comme l’autre n’apportent aucune théorie (David Halperin le soulignait à propos de Foucault (53)), aucun système de pensée, aucune position sur laquelle quiconque pourrait camper.

Il n’y aurait pas de meilleure preuve de la reconnaissance de l’intensification du plaisir comme plus-de-jouir que celle qui consisterait à éclairer l’intensification du plaisir par le plus-de-jouir. Tentons, pour conclure, d’apporter cette preuve.

Une des questions laissées par Foucault sans plus d’explication concernant l’intensification du plaisir se trouve posée par quelques déclarations qu’il a faites, à la fois précises et laconiques, qui signalent une autre visée que l’intensification du plaisir, quelque chose comme la recherche d’un passage hors sexe, un dégagement du sujet vis-à-vis du sexe. Voici une première déclaration (54) qui maintient une certaine ambiguïté à ce propos :

Faire échapper le plaisir de la relation sexuelle au champ normatif de la sexualité et à ses catégories, faire par là même du plaisir le point de cristallisation d’une nouvelle culture — c’est, je crois, une approche intéressante. (55)

Deux ans plus tard, l’indication devient plus précise, qui reprend l’abrupte formule « la sexualité, c’est assommant » (56):

Les gens [de la sous-culture S/M] « inventent de nouvelles possibilités de plaisir [noter le singulier] en utilisant certaines parties bizarres de leur corps [au singulier] en érotisant ce corps. Je pense que nous avons là une sorte de création, d’entreprise créatrice, dont l’une des principales caractéristiques est ce que j’appelle la désexualisation du plaisir. L’idée que le plaisir physique provient toujours du plaisir sexuel et l’idée que le plaisir sexuel est la base de tous [souligné par Foucault] les plaisirs possibles, cela, je pense, c’est vraiment quelque chose de faux. (57)

Et Foucault de citer les drogues comme autre exemple de désexualisation du plaisir. Cette référence apparaîtra d’autant plus remarquable si l’on se souvient que Freud inventa la psychanalyse précisément sur la base d’un constat d’échec de la drogue, nommément la cocaïne, panacée censément universelle en laquelle il avait mis beaucoup d’espoir. Cet échec le porta à inventer une autre médecine que celle, lésionnelle, du regard, qui dominait chez Charcot, à situer le médecin autrement que comme un sachant, le malade autrement que comme un porteur de symptômes qui n’auraient rien à faire avec son dire ni son histoire. Cet échec porta Freud jusqu’à l’invention d’une méthode, ce qui impliquait un changement de discours (le dispositif analytique se réglant sur le discours de l’hystérique). L’analyse, toute analyse (pas seulement son effectuation qui, abusivement, se revendique comme « psy »), pourrait bien n’avoir lieu, en effet, que sur la base d’une forclusion de la drogue.

Comment entendre, dans sa teneur, ce dire de Foucault ? Notons qu’il n’est pas confirmé, par sa propre expérience de la drogue, en tout cas celle du LSD telle qu’elle fut rapportée avec ses propos du moment : «La seule chose dans ma vie qui soit comparable à ce que je ressens maintenant, c’est faire l’amour avec un inconnu », ou encore : « Maintenant, je comprends ma sexualité » (58). Il y a donc bien là un problème. On l’abordera en prenant le mot « plaisir » au sens de Freud, ce qu’il n’a pas sous la plume de Foucault, comme nous l’avons vu. Au sens de Freud, la désexualisation du plaisir est le plaisir même. Mais Freud découvre, en 1920, l’insistance d’un « au-delà du principe de plaisir » : le vœu d’une vie apaisée à l’endroit du sexe rencontre une limite, a affaire à quelque chose qui s’y oppose et que Freud nomme « contrainte de répétition ». La jouissance ne se laisse pas bâillonner si facilement que ça.

En suivant cette logique freudienne, l’assertion de Foucault serait-elle à lire comme l’indication qu’existerait une jouissance non sexuelle ? Mais alors, quel rapport y a-t-il, chez lui, entre ce vœu d’une sortie du sexuel vers une autre jouissance (Foucault parle aussi d’une « falsification du plaisir) et la visée d’intensification de la jouissance sexuelle ? Le plus-de-jouir lacanien permet de répondre à cette question, il est vrai en en modifiant, sur un point, la donne.

Précisément, Lacan renomme l’objet petit a « plus-de-jouir » sur ce même littoral où Foucault se situe entre intensification et annihilation de la jouissance sexuelle. Pour l’introduction du plus-de-jouir, sa référence décisive reste Freud. Dès L’esquisse d’une psychologie à usage des neurologues, Freud notait l’écart existant entre une jouissance une première fois obtenue et la répétition de cette expérience qui implique une nécessaire déperdition de jouissance. Dans cet écart, il y a bien une place faite pour une visée d’intensification de la jouissance celle qui serait nouvellement obtenue, puisque celle-ci n’est jamais aussi jouissive que celle (mythique si l’on veut) de la première fois (et l’on peut se souvenir que ce « la première fois » était présent dans l’expérience libidinale du LSD telle que Foucault en témoignait). Mais comment Lacan, avec Freud, peut-il être aussi catégorique concernant ce « jamais » ? Ici, Lacan intervient dans Freud. Celui-ci avait noté que l’enfant au sein cherchait à retrouver l’image exacte du sein vu sous un certain angle, celle liée à la première satisfaction. Lacan fait alors le pas d’admettre que c’est précisément ce trait unaire (pour réduire cette image à sa plus minimale valeur), cet Einziger Zug, qui fait que toute répétition de l’expérience comporte une déperdition de jouissance. Et en effet, par définition, la première expérience n’était pas marquée ni encombrée par cette recherche d’une marque de la retrouvaille (du coup manquée) de l’expérience originelle. Il n’y avait, en elle, par définition, nul souci de retrouver une expérience passée. Lacan peut alors appeler « plus-de-jouir » l’objet petit a dont il avait, en 1962-63 égrené et même ordonné les diverses figures (sein, excrément, phallus, regard, voix) dans son second graphe dit « graphe de l’amourir ». De quoi s’agit-il maintenant ? D’inscrire dans l’objet petit a le fait que la déperdition de jouissance peut comporter une sorte de « boni » (59), et que ce boni, tel la plus-value de Marx, peut être empoché par certains.

Pour la question à laquelle nous avons affaire chez Foucault, l’essentiel de cette interprétation lacanienne de la répétition chez Freud consiste en la remarque que ce que récupère le sujet n’a rien affaire avec la jouissance mais avec sa perte (60). Il y a quelque chose comme un double fond du plus-de-jouir, qui ne s’obtient que dans la mesure où la jouissance peut se réaliser pour ce qu’elle est, à savoir masochiste (la répétition en acte implique une déperdition de jouissance). Ce double fond est-il susceptible d’expliquer la double et apparemment contradictoire position de Foucault à l’endroit de la jouissance ? Identifier l’intensification du plaisir comme plus-de-jouir permet de lever cette pseudo-contradiction. Il faut et il suffit pour cela de lire son vœu d’une jouissance non sexuelle comme l’indication que, sexuelle, la jouissance ne l’est jamais absolument. C’est la leçon de l’interdit de l’inceste tel que le lit Lacan, comme l’énoncé d’une impossibilité. Il y a une jouissance qui, « d’être la seule qui donnerait le bonheur, justement à cause de cela, cette jouissance est exclue », la fonction du plus-de-jouir étant alors apportée « en suppléance de l’interdit de la jouissance phallique » (61). L’intensification du plaisir a une fonction de suppléance. Elle seule, remarque Foucault, est susceptible de faire le sexe pas immédiatement triste.

En identifiant la marque de jouissance comme savoir, Lacan nous permet aussi de saisir comment ce peut être d’un même geste que Foucault attend de l’érotisme l’émergence d’une nouvelle culture et démonte le caractère érotique de ce qui est installé comme pouvoir de la culture, ceci jusqu’à cette sexualité disciplinaire sans charme et sans jeu. Il n’y a pas de différence essentielle, ni chez Foucault ni chez Lacan, entre ce jeu et celui du savoir. Ainsi lisons-nous une phrase de Lacan comme particulièrement pertinente au regard de Foucault :

[…] si le discours c’est l’homme, en tant qu’il permet l’enjeu du plus-de-jouir (à savoir : ‘J’y mets tout le paquet’), c’est très précisément ce qui est interdit au discours sexuel. (64)

Notas

(*) Intervention au colloque "Foucault et la médecine"

(1) L’envers de la psychanalyse, séance du 11 février 1970, Paris, Seuil, 1991, p. 80. Confrontée à la sténotypie, on ne peut que saluer la réussite de la transcription de Jacques-Alain Miller : « de ce qu’il s’y origine » en place de « de ce qui s’y origine », « « il s’essaie » en place de « il cessait ».

(2) Dans son cours du 15 janvier 1975, Foucault dit encore son écart par rapport à Hegel comme déprise par rapport à soi (cf. Les anormaux, Paris, Gallimard Seuil, 1999, p. 46). Dans la même période, Lacan (dont la rupture avec Hegel fut effective avec l’invention de l’objet petit a en 1963) met en question vingt ans de séminaires et publications en interrogeant explicitement la validité du paradigme réel symbolique imaginaire (cf. Jean Allouch, Freud, et puis Lacan, Paris, EPEL, 1993).

(3) « Ce que j’énonce du sujet comme effet lui-même du discours rend absolument exclu que le mien fasse système […] » (D’un Autre à l’autre, séminaire inédit, séance du 27 novembre 1968). Cette déclaration et bien d’autres identiques n’a pas retenu É. Roudinesco, biographe de Lacan, de construire tout son propos sur « le système de pensée » que Lacan aurait, selon elle, construit.

(4) Gilles Deleuze, « Qu’est-ce qu’un dispositif », in Michel Foucault philosophe, Rencontre internationale, Paris 9, 10, 11 janvier 1988, Paris, Seuil, 1989, p. 192-193.

(5) François Ewald, « Foucault et l’actualité », in Au risque de Foucault, Paris, Centre Georges Pompidou / Centre Michel Foucault, 1997, p. 203-212.

(6) Le cours du 8 janvier 1975 porte témoignage d’une lecture, au moins cursive, du séminaire de Lacan paru en 1973 : Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse (Paris, Seuil). Foucault, d’un geste vif, écarte de son questionnement le sujet supposé savoir, sans même nommer Lacan. Est-ce là une « lecture » de Lacan ? On ne saurait exclure que oui. Mais la phrase (« Laissons alors à d’autres le soin de poser la question des effets de vérité qui peuvent être produits, dans le discours, par le sujet supposé savoir » – Les anormaux, op. cit., p. 14) vaut aussi comme indiquant aux auditeurs du cours un autre travail, fait ailleurs. Elle véhicule en outre un malentendu, puisque, chez Lacan, les effets du sujet supposé savoir ne sont pas tant de vérité que, fondamentalement, de méprise (cf. J. Lacan, « La méprise du sujet supposé savoir », Scilicet n° 1, Paris, Seuil, 1968, pp 31-41). Ce malentendu apparaît typique d’un quiproquo où une proximité Foucault Lacan vient au jour dans le geste même par lequel Foucault localise Lacan hors champ de ses propres travaux. Cette rencontre manquée/réussie mériterait de figurer dans le remarquable livre de Jorge Baños Orellana, El idioma de los lacanianos.

(7) F. Ewald, op. cit., p. 204 & p. 206.

(8) Daniel Defert, « Glissements progressifs de l’œuvre hors d’elle-même », in Au risque de Foucault, op. cit., p. 151-160.

(9) Jacques Lacan, D’un Autre à l’autre, séance du 13 novembre 1968, inédit : « L’identité du discours avec ses conditions, voilà qui, j’espère, va trouver éclairage de ce que je vais dire de la démarche analytique ».

(10) Lacan introduit le « plus-de-jouir » dans la séance inaugurale du séminaire D’un Autre à l’autre, le 13 novembre 1963. Le discours de Marx, dit Lacan, situe la renonciation à la jouissance du maître hégélien : faisant du travail un marché, Marx dégage la fonction de la plus-value. Homologiquement, faisant de l’Autre un marché, Lacan isole, ce jour-là, la fonction du plus-de-jouir. Si, comme l’avance Lacan, la renonciation à la jouissance est « un effet du discours lui-même », le corrélat de cette renonciation, à savoir la captation d’un plus-de-jouir par certains doit faire événement quel que soit le champ concerné. Aurait-on là une définition de l’analytique comme telle ?

(11) M. Foucault, Les anormaux, op. cit., p. 42.

(12) Ibid., p. 77.

(13) Pour une lecture critique de l’erreur qui consiste à focaliser l’intérêt sur la « traversée du fantasme », cf. Jean Allouch, La psychanalyse : une érotologie de passage, Cahiers de L’unebévue, Paris, EPEL, 1998, p. 109-142.

(14) Séance du 18 mai 1966. La semaine précédente, Lacan avait déclaré : « Il [le peintre] est sur cette toile. Il œuvre ce tableau et ce tableau est retourné. […] Ceci est le plan essentiel d’où nous devons partir. Et qu’à mon avis Michel Foucault, que je vous ai tous priés de lire, dans son très remarquable texte, a éludé ». Le 18 mai, Foucault entendra Lacan lui dire : « […] quand je dis ‘nous’, je vous dis ‘vous et moi’ Michel Foucault, qui nous intéressons au rapport des mots et des choses, car en fin de compte il ne s’agit que de ça dans la psychanalyse ». Peu après, Lacan apostrophe directement Foucault qui, en réponse, fait un pas de côté : « — Je ne déforme pas ce que vous dites ? — Vous reformez. ». Cf. Mayette Viltard, « Foucault–Lacan : la leçon des Ménines », L’unebévue n° 12, Paris, EPEL, 1999. Dans cette étude, M. Viltard défriche et déchiffre trois rencontres souterraines entre Lacan et Foucault : en 1966 à propos des Ménines, en 1968 à propos d’une lettre de Lacan à Foucault, et début 1976, via un groupe de lacaniens questionnant Foucault sur La volonté de savoir.

(15) M. Foucault, « La scène de la philosophie », entretien du 22 avril 1978, DE, t. III, p. 590 ainsi que « L’éthique du souci de soi comme pratique de la liberté », entretien du 20 janvier 1984, t. IV, p. 718.

(16) M. Foucault, « Lacan, le libérateur de la psychanalyse », entretien de septembre 1981, DE, t. IV, p. 204.

(17) M. Foucault, « Entretien avec Michel Foucault », fin 1978, DE, t. IV, p. 58.

(18) Les lignes qui suivent prennent appui sur mon étude « Les trois petits points du ‘retour à… ’», Littoral, La discursivité, Toulouse, Erès, 1983, p. 39-78 (repris dans Lettre pour lettre, Toulouse, Erès, 1984).

(19) M. Foucault, 1983 : « Usage des plaisirs et techniques de soi », novembre 1983, DE, t. IV, p. 543.

(20) Si l’on se règle sur l’une de ses déclarations, mais aussi sur l’un de ses cauchemars d’enfance, on peut situer ce changement comme l’inauguration, chez Foucault, d’un autre rapport à une sienne hantise. En 1967 il disait en effet à Raymond Bellour : « Personnellement, je suis plutôt hanté par l’existence des discours ».

(21) M. Foucault, « Il faut défendre la société », Paris, Gallimard Seuil, 1997, p. 34.

(22) Cf. Arnold Davidson, « Foucault et l’analyse des concepts », in Au risque de Foucault, op. cit., p. 53-66. Du jeu, Lacan disait ceci qui, s’il l’avait entendu, aurait sans doute réjoui Foucault : « le jeu […] rien n’isole d’une façon plus pure ce qu’il en est de nos rapports au signifiant » (D’un Autre à l’autre, op. cit., séance du 15 janvier 1969).

(23) M. Foucault, « L’Occident et la vérité du sexe », DE, t. III, p. 102. Cet article est de 1976.

(24) Cette thèse n’a rien d’inédit. Cf. John Rajchman, Érotique de la vérité, Foucault, Lacan et la question de l’éthique, traduit de l’américain par Oristelle Bonis, Paris, PUF, 1994.

(25) M. Foucault, « Entretien avec Michel Foucault », op. cit., p. 52.

(26) M. Foucault, « Sexualité et solitude », DE, t. IV, p. 170. Publié en anglais en 1981.

(27) S’en tenir à une lecture conceptuelle de Lacan, autrement dit omettre, chez lui, la fonction de la lettre, permet d’affirmer que, selon Lacan, le sujet est « divisé ». Serait-ce là (Lacan l’ayant d’ailleurs dit mille fois), un des items les plus importants de la théorie lacanienne ? Rien n’est moins sûr cependant. Il suffit par exemple d’étudier le séminaire L’angoisse pour se rendre compte des difficultés non surmontées d’une écriture de cette division.

(28) Cf. Jean Allouch, Marguerite, ou l’Aimée de Lacan, Paris, EPEL, 1990. Cette version de la subjectivation comme nouage (à partir de Laquelle Lacan réenvisage son cas « Aimée ») est-elle compatible avec la définition du sujet comme représenté par un signifiant ? Ou bien constitue-t-elle un véritable et ultime chambardement dans la doctrine lacanienne ? La question, à notre connaissance, n’a jamais été étudiée.

(29) Cf. Le texte de Foucault cité par G. Deleuze dans son intervention de 1988 (G. Deleuze, op. cit., p. 191-192).

(30) Cette référence à Beckett figure déjà dans « Réponse à une question », de 1968 (DE, t. I, p. 695).

(31) J. Lacan, …ou pire, séminaire inédit, séance du 9 février 1972.

(32) D. Defert, op. cit., p. 158.

(33) Ibid., p. 152.

(34) Jean Allouch, Lettre pour lettre, transcrire, traduire, translittérer, op. cit.

(35) Michel Foucault, « Sur les façons d’écrire l’histoire », juin 1967, DE, t. I, p. 597.

(36) G. Deleuze, « Lettre à un critique sévère », Pourparlers, Paris, Minuit, 1990, cité par James Miller, La passion Foucault, traduit de l’anglais par Hugues Leroy, Paris, Plon, 1993, p. 224.

(37) Paul Veyne, « Le dernier Foucault et sa morale », Critique n° 471-472, août-septembre 1986, p. 935 : « La philosophie de Nietzsche, aimait à répéter Foucault, n’est pas une philosophie de la vérité mais du dire vrai ».

(38) Signalons ici la séance du 15 janvier 1969 du séminaire D’un Autre à l’autre. L’historicisation que propose Lacan du rapport plaisir / jouissance est susceptible de réjouir le lecteur le plus exigeant de Foucault.

(39) J. Lacan, « Lituraterre », in Littérature n° 3, Paris, Larousse, 1971.

(40) M. Foucault, « A propos de la généalogie de l’éthique : un aperçu du travail en cours », DE, t. IV, p. 390.

(41) M. Foucault, « Michel Foucault, une interview : sexe, pouvoir et la politique de l’identité », publié en août 1984, DE, t. IV, p. 738.

(42) M. Foucault, « A propos de la généalogie de l’éthique : un aperçu du travail en cours », op. cit., p. 390.

(43) Ibid., p. 400.

(44) M. Foucault, « L’Occident et la vérité du sexe »,, article de 1976, DE, t. III, p. 103, ainsi que « Usages des plaisirs et technique de soi », écrit en 1983, DE, t. IV, p. 560.

(45) Il fallait expliquer, ce que Lacan ne fit jamais, la capacité de ce mathème à écrire le transfert psychotique. Je l’ai tenté dans Marguerite, ou l’Aimée de Lacan, op. cit.

(46) M. Foucault, « A propos de la généalogie de l’éthique : un aperçu du travail en cours », op. cit., p. 386.

(47) Ibid., p. 356.

(48) Cette invention lève l’équivoque des génitifs à la façon dont Wittgenstein disait que devaient se résoudre les problèmes philosophiques : créer les conditions pour qu’ils ne se posent plus.

(49) Leo Bersani, Homos, traduit de l’anglais par Christian Marouby, Paris, O. Jacob, 1998, p. 119 ; ainsi que Le rectum est-il une tombe ?, traduit de l’américain par Guy Le Gaufey, Cahiers de L’unebévue, Paris, EPEL, 1998.

(50) M. Foucault, « L’éthique du souci de soi comme pratique de la liberté », op. cit., p. 727.

(51) M. Foucault, « Choix sexuel, acte sexuel », entretien de 1982, DE, t. IV, p. 331.

(52) M. Foucault, « L’éthique du souci de soi comme pratique de la liberté », op. cit., p. 729.

(53) David Halperin : « Foucault is not trying to describe what sexuality is but to specify what it does and how it works in discursive and institutional practice. That approach to sexuality represents a theoretical intervention insofar as it engages with already existing theories of sexuality, but the nature of the engagement remains purely tactical […] » (« Forgetting Foucault : Acts, Identities, and the History of Sexuality », Representations 63, Summer 1998, The University of Chicago, p. 110. Halperin dit également ici ce qu’est être lacanien en psychanalyse : non pas enseigner à l’analysant que sa théorie sexuelle infantile est moins valable que celle de Lacan, pas même se référer, plus ou moins implicitement, à celle – supposée – de Lacan, mais trouver le biais tactique pour lever le blocage dans lequel sa théorie sexuelle infantile fige l’analysant. Il ne s’agit pas tant de l’interprétation que du transfert, le degré zéro de l’analyse du transfert apparaissant ainsi comme le fait de transformer l’analysant en lacanien. De même que Foucault ne pouvait enseigner à ses élèves l’art de n’être pas gouverné en les gouvernant (il n’est pas Socrate !), de même Lacan ne pouvait enseigner à ses élèves l’art de psychanalyser qu’en ne les analysant pas d’une manière lacanienne. Il y a quelques témoignages que tel fut parfois le cas.

(54) Ce « première » étant bien sûr, des plus relatif. Déjà à propos d’Alexina, Foucault écrivait : Elle se plaisait, je crois, dans ce monde d’un seul sexe où étaient toutes ses émotions et tous ses amours, à être « autre » sans avoir jamais à être « de l’autre sexe ». Nov. 1980, « Le vrai sexe », DE, t. IV, p. 121.

(55) M. Foucault, 1982, « Le triomphe social du plaisir sexuel », DE, t. IV, p. 312.

(56) M. Foucault, 1983, « A propos de la généalogie de l’éthique… », op. cit., p. 383.

(57) 1984 : M. Foucault, « Une interview : sexe, pouvoir et la politique de l’identité » DE, t. IV, p. 737.

(58) Cité par James Miller, La passion Foucault, op. cit., p. 289.

(59) J. Lacan, L’envers de la psychanalyse, op. cit., séance du 26 novembre 1969.

(60) J. Lacan, D’un Autre à l’autre, op. cit., séance du 15 janvier 1969.

(61) J. Lacan, L’envers de la psychanalyse, op. cit.., séance du 10 février 1970.

(62) J. Lacan, D’un discours qui ne serait pas du semblant, séminaire inédit., séance du 21 janvier 1971.

 

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Revista de Psicoanálisis y Cultura
Número 10 - Diciembre 1999
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